Les Philippines négocient avec le MILF et s’exposent à l’ire des groupes rivaux.

Raphael Lachkar

La presse asiatique fut, en mars dernier, secouée par un accord conclu entre le gouvernement philippin et le MILF (Front Moro Islamique de Libération). Enfoui depuis quarante ans dans un conflit séparatiste armé considéré comme l’un des plus vivaces et conséquents de la région, le groupe sécessionniste parvint cette année à obtenir des promesses d’indépendance relative de la part du gouvernement central (Liow, 2006, p. 8). Le MILF n’est cependant pas le seul groupe armé actif sur le territoire philippin et la soudaine écoute dont il bénéficie auprès du gouvernement ne fait pas consensus. Les dix années qui suivirent l’entrée dans le deuxième millénaire connurent une fréquence et une violence accrue en ce qui concerne les attentats aux Philippines : 1207 attaques sur 807 jours ou en moyenne une attaque tous les quatre jours pendant dix ans (White, Michael D. Porter, & Loraine Mazerolle, 2013, p. 302).

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Soldats du MILF célèbrent la ratification du traité de paix à un rassemblement au camp Darapanan, Ville de Sultan Kudarat, Mindanao, 27 mars 2014

L’histoire du militantisme Moro aux Philippines est complexe. À leur arrivée au 16e siècle, les Espagnols lancèrent de nombreuses attaques contre les sultans des iles de Mindanao et de Sulu. L’envahisseur associait les musulmans locaux aux Maures, musulmans eux aussi, qui conquirent la péninsule ibérique au 8e siècle. Aux Philippines toutefois, la résistance n’était pas exclusivement musulmane et le terme Moro finit par caractériser un mouvement moins religieux que nationaliste (englobant catholiques, musulmans et indigènes). Adoptant le terme et s’alliant autour de l’idéal Bangsamoro (Nation maure), les militants tentaient de soustraire l’ile de Mindanao au pouvoir colonial. L’indépendance acquise en 1946 ne calma pas les velléités des habitants du sud du territoire. Elles virent d’un mauvais œil les politiques assimilatrices du gouvernement central et l’injection de populations catholiques dans la région. Dans les années 1960, la résistance s’organisa autour du groupe marxiste MNLF (Front Moro de Libération Nationale). Le durcissement de la politique centrale et la loi martiale sous Marcos radicalisèrent le dialogue pour voir le conflit prendre une ampleur sans précédent et se détacher du groupe marxiste un groupe islamiste : le MILF (Front Moro Islamique de Libération) dans les années 1970.
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En 1989, le MNLF obtint une région autonome (autonomous région in muslim Mindanao) et sept années plus tard signa un accord de paix avec le gouvernement. Le MILF ne prit cependant pas part aux négociations et les évènements du 11 septembre 2001 aux États-Unis ainsi que les relations fortes que partagent ces derniers avec les Philippines ne firent qu’exacerber l’attention portée au groupe intégriste pour en faire le belligérant majeur du conflit aujourd’hui (Liow, 2006, pp. 8-10), (Schiavo-Campo & Mary Judd, 2005, pp. 1-3). Les nombreuses tentatives de négociations entre le groupe et le gouvernement se sont avérées infructueuses, en 2008 notamment se négocia un traité accordant au MILF un nombre de concessions et des promesses d’accès à l’indépendance, la Cour suprême mit un frein au projet. Depuis 2010 et le début du mandat de Benigno Aquino enfin, les discussions semblent prendre une tournure plus favorable. En 2012 le gouvernement philippin signa un document visant à remplacer la région autonome par le Bangsamoro, beaucoup plus large (comprenant Sulu, Mindanao et Palawan) (Rappler, 2012) (The CenSEI report, 2012). C’est la version finale de ce rapport, signée en mars 2014 avec le MILF, qui voudrait conclure les négociations fixant à l’année 2016 l’instauration de la région autonome Bangsamoro (Whaley, 2014). Celle-ci devrait bénéficier de l’essentiel des revenus locaux et de l’autorité interne laissant au gouvernement philippin la gestion des affaires étrangères, de la monnaie et de la défense nationale.
Cette soudaine conclusion du conflit laisse de nombreux sceptiques. Premièrement, à la différence des négociations avec le MNLF en 1989, le gouvernement offre une plus grande autonomie à une entité islamiste détonnant avec l’administration nationale catholique. Le MILF fixe comme objectif principal à ses Moudjahidines de rendre suprême la parole d’Allah et d’établir l’Islam partout dans la terre ancestrale du Bangsamoro (Liow, 2006, p. 13). Le Bangsamoro comprend des régions non-musulmanes qui pourraient elles aussi faire les frais du repli de l’autorité gouvernementale. Ensuite, l’assemblée et les autorités locales n’ont pas encore commenté la décision d’Aquino. La Cour suprême souligne que le président n’a pas l’autorité légale de déléguer ses pouvoirs à une autre entité politique. Rappelons l’échec des pourparlers de 2009 suite à l’intervention de la Cour suprême (Knack, 2014). Autrement, le MNLF n’a pas été consulté et reste actif, l’accord stipule que le MILF est responsable du retour au calme sur le territoire et le groupe devra surement s’attendre à des résistances. Celles-ci risquent d’être d’autant plus fortes que le gouvernement n’a pas obtenu le désarmement total du MILF. En effet, quatre commandants du MILF (et quelques 4 000 hommes), refusant les termes de l’accord, ont rejoint les rangs du MNLF. Enfin, la région comprend le sultanat de Sulu et des populations indigènes protégées par les Nations Unies, tous deux revendiquant la région pour eux ancestrale (Knack, 2014).
Pour toutes ces raisons, l’avancée diplomatique d’Aquino se doit d’être nuancée. L’issue de la question dépendra probablement du type de gouvernance instauré localement à terme et, accessoirement de l’influence des troupes étasuniennes aux Philippines.

SOURCES

Government of the Republic of the Philippines, & Moro Islamic Liberation Front. (2008, Aout 5). Memorandum of agreement on the ancestral domain aspect of teh CRP-MILF Tripoli agreement on peace of 20011. Kuala Lumpur, Malaisie.

Knack, P. D. (2014, avril 9). Bangsamoro Peace Deal for Mindanao: Where’s the Peace? . Consulté le novembre 7, 2014, sur The Diplomat: http://thediplomat.com/2014/04/bangsamoro-peace-deal-for-mindanao-wheres-the-peace/

Liow, J. C. (2006). Muslim resistance in Southern Thailand and Southern Philippines: Religion, Ideology and Politics. Policy Studies 24 .

Rappler. (2012, octobre 10). 2012 Framework Agreement on the Bangsamoro political region. Consulté le novembre 7, 2014, sur Rappler: http://www.rappler.com/nation/13758-2012-framework-agreement-on-the-bangsamoro-political-region

Schiavo-Campo, S., & Mary Judd. (2005). The Mindanao Conflict in the Philippines: Roots, Costs, and Potential Peace Dividend. The World Bank.

The CenSEI report. (2012). The CenSEI report. 2 (13), 6.

Whaley, L. (2014, janvier 25). Philippines and Rebels Agree on Peace Accord to End Insurgency. Consulté le novembre 7, 2014, sur The New York Times : http://www.nytimes.com/2014/01/26/world/asia/philippines-and-rebels-agree-on-peace-accord-to-end-insurgency.html?_r=0

White, G., Michael D. Porter, & Loraine Mazerolle. (2013). Terrorism Risk, Resilience and Volatility: A Comparison of Terrorism Patterns in Three Southeast Asian Countries. Journal of Quantitative Criminology , 29 (2), 295-320.

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