L’esclavage dans l’industrie électronique en Malaisie

Par Marc-André Bilodeau
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Imaginez si vous deviez payer quelqu’un pour qu’il vous trouve un emploi au salaire minimum et que vous deviez lui donner la moitié de votre salaire annuel par la suite. Cette option semble peu attrayante, non? C’est pourtant la situation que vivent de nombreux employés de l’industrie électronique en Malaisie, souvent surnommée la Silicon Island de l’Est, à cause de son importance dans ce secteur [1]. En effet, 92% des travailleurs immigrants ont dû payer des frais pour immigrer en Malaisie pour avoir un travail et la moitié d’entre eux n’ont même pas été en mesure de rembourser ces frais en moins d’un an [2]. Cela a un impact direct sur le nombre d’employés qui sont considérés comme faisant du travail forcé et ceux-ci représenteraient, au minimum, le tiers des travailleurs de l’industrie électronique [3].
Cette situation fait donc qu’une très grande majorité d’immigrants, des Indonésiens pour la plupart, ont l’impression qu’ils ne peuvent pas quitter leur emploi tant qu’ils n’ont pas remboursé leur dette [4]. Par ailleurs, beaucoup d’employés, autant les immigrants que les Malaisiens, se font engager par une compagnie tierce et pas directement par la compagnie d’électronique. Les impacts majeurs de cette façon de procéder sont la multiplication des frais que doivent payer les travailleurs et les conditions de travail qui vont être inférieurs à celles des véritables employés de la compagnie [5].
Loin d’améliorer la situation, ils se font presque tous confisquer leur passeport par la compagnie pour laquelle ils travaillent ou la personne qui les a fait immigrer [6]. Cela a comme impact qu’ils sont sous la domination de leur employeur et qu’ils n’ont pas le choix de vivre dans des conditions insalubres [7], le tiers d’entre eux vivant même dans des maisons où il y a plus de huit personnes [8]. De plus, le deux tiers des immigrants disent ne pas pouvoir se déplacer librement et de façon sécuritaire puisqu’ils n’ont pas leur passeport [9].
Pour une grande partie des travailleurs, le salaire qu’ils reçoivent est sous le seuil de la pauvreté [10]. Cela fait que leurs conditions de vie sont minimales et qu’ils doivent fréquemment emprunter plus d’argent, l’impact direct étant donc d’augmenter leur dette et d’ainsi devoir faire encore plus d’heures supplémentaires [11]. Bref, les immigrants sont coincés dans un cercle vicieux d’esclavage puisqu’ils ne peuvent pas quitter leur emploi, car ils n’ont pas leur passeport et qu’ils ont souvent des dettes qui semblent sans fin.
Les actions gouvernementales n’aident pas non plus à la situation, alors que les politiques mises en place semblent plutôt favoriser le système actuel. Effectivement, depuis 2006, le gouvernement encourage fortement les grandes compagnies à faire appel à des petites et moyennes entreprises, les tierces parties mentionnées plus haut, pour engager leurs employés [12]. De plus, les lois quant à l’immigration illégale ou l’absence de passeport sont extrêmement sévères, alors que les immigrants peuvent être incarcérés et même subir des châtiments corporels [13]. Cela implique donc que les travailleurs qui ont encore des dettes envers leurs employeurs, mais dont le visa de travail n’est plus valide se retrouvent dans une situation sans réelle issue positive pour eux. Quant à ceux qui décident de porter plainte, la mauvaise communication entre les ministères et différents bureaux gouvernements, en plus de l’abondance de la bureaucratie exigée, viennent compliquer sévèrement leur chance de s’en sortir [14].
Les lois sur les immigrants font aussi preuve de discrimination, alors qu’ils ne peuvent pas avoir d’enfants ou se marier lorsqu’ils sont en Malaisie seulement pour travailler [15]. De plus, le gouvernement fait de moins en moins d’efforts pour réduire les cas de trafic humains, par exemple en ouvrant seulement des enquêtes lorsqu’il y a une plainte des travailleurs et non de façon volontaire [16]. Il y a aussi de nombreux cas de corruption de douaniers et de policiers, alors que ceux-ci demandent des pots-de-vin lorsqu’ils vont attraper un immigrant sans papier [17] ou en facilitant le trafic humain aux frontières [18]. La Malaisie se retrouve d’ailleurs au plus bas du classement des États-Unis par rapport aux trafics humain dans le monde [19].
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Les perspectives d’avenir sont donc plutôt sombres pour les travailleurs immigrants en Malaisie, particulièrement dans l’industrie électronique qui demeure une des plus importantes au pays [20]. Il y a toutefois un peu d’espoir, puisque depuis 2009, les syndicaux sont légaux au pays dans ce secteur, mais uniquement de façon régionale, il n’y a donc pas de grandes coalitions syndicales et leurs implantations demeurent difficiles [21]. Cependant, les syndicats doivent être approuvés par le ministère des Ressources humaines du pays et s’ils ne sont pas acceptés, ils ne peuvent pas faire appel à la décision [22]. De plus, les immigrants reçoivent souvent de la mauvaise information lors de leur recrutement, comme quoi ils ne peuvent pas faire partie des syndicats, ce qui est faux [23]. Cela pourrait donc expliquer le nombre peu élevé d’adhérents aux syndicats, alors que cette mesure donne l’impression qu’elle a seulement été mise en place pour bien paraître à l’international. En définitive, les efforts du gouvernement malaisien améliorer la situation sont minimes et la raison principale de ce manque de motivation semble être l’importance de l’industrie électronique, elle qui représente la moitié des exportations manufacturières du pays [24].
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Bref, les rabais du temps des fêtes dans les magasins d’électroniques sont peut-être alléchants, mais ce qui pourrait les expliquer l’est beaucoup moins.

[1] World Economy, Ecology and Development. 2010. Migration in a Digital Age Migrant Workers in the Malaysian Electronics Industry: Case Studies on Jabil Circuit and Flextronics. Berlin : World Economy, Ecology and Development.
[2] Verité. 2014. Forced Labour in the Productions of Electronic Goods in Malaysia : A comprehensive Study of Scope and Characteristics. Amherst (États-Unis) : Verité.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] World Economy, Ecology and Development. 2010. Migration in a Digital Age Migrant Workers in the Malaysian Electronics Industry: Case Studies on Jabil Circuit and Flextronics. Berlin : World Economy, Ecology and Development.
[6] Verité. 2014. Forced Labour in the Productions of Electronic Goods in Malaysia : A comprehensive Study of Scope and Characteristics. Amherst (États-Unis) : Verité.
[7] World Economy, Ecology and Development. 2010. Migration in a Digital Age Migrant Workers in the Malaysian Electronics Industry: Case Studies on Jabil Circuit and Flextronics. Berlin : World Economy, Ecology and Development.
[8] Verité. 2014. Forced Labour in the Productions of Electronic Goods in Malaysia : A comprehensive Study of Scope and Characteristics. Amherst (États-Unis) : Verité.
[9] Ibid.
[10 ]World Economy, Ecology and Development. 2010. Migration in a Digital Age Migrant Workers in the Malaysian Electronics Industry: Case Studies on Jabil Circuit and Flextronics. Berlin : World Economy, Ecology and Development.
[11] Ibid.
[12] Kaur, Amarjit. 2010. « Labour migration in Southeast Asia: migration policies, labour exploitation and regulation ». Journal of Asia Pacific Economy 15 (février) : 6-19.
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] Ibid.
[16] États-Unis. Department of State. 2014. Trafficking in Persons Report 2014. Washington : Department of State.
[17] Verité. 2014. Forced Labour in the Productions of Electronic Goods in Malaysia : A comprehensive Study of Scope and Characteristics. Amherst (États-Unis) : Verité.
[18] États-Unis. Department of State. 2014. Trafficking in Persons Report 2014. Washington : Department of State.
[19] Ibid.
[20] World Economy, Ecology and Development. 2010. Migration in a Digital Age Migrant Workers in the Malaysian Electronics Industry: Case Studies on Jabil Circuit and Flextronics. Berlin : World Economy, Ecology and Development.
[21] Ibid.
[22] Ibid.
[23] Ibid.
[24] Ibid.

Bibliographie
États-Unis. Department of State. 2014. Trafficking in Persons Report 2014. Washington : Department of State.

Kaur, Amarjit. 2010. « Labour migration in Southeast Asia: migration policies, labour exploitation and regulation ». Journal of Asia Pacific Economy 15 (février) : 6-19.

Verité. 2014. Forced Labour in the Productions of Electronic Goods in Malaysia : A comprehensive Study of Scope and Characteristics. Amherst (États-Unis) : Verité.

World Economy, Ecology and Development. 2010. Migration in a Digital Age Migrant Workers in the Malaysian Electronics Industry: Case Studies on Jabil Circuit and Flextronics. Berlin : World Economy, Ecology and Development.

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