Le mode de vie traditionnel des minorités laotiennes à risque

Par Maude Fagnant

Le Laos, comme beaucoup de pays de la région, est composé de plusieurs groupes ethniques qui entretiennent des relations parfois tendues. Ces tensions prennent souvent leurs racines dans des conflits qui ont lieu depuis plusieurs siècles et se finissent souvent par la domination d’un groupe sur les autres. Ce groupe dominant est souvent

le plus avantagé politiquement et économiquement, comme c’est le cas au Laos avec le groupe des Lao Loum. Ils ont plus de pouvoir politique que les minorités, donc ces derniers, ainsi que leurs traditions et leur culture, écopent lorsque vient le temps de trouver des solutions pour permettre au pays de développer son économie.

Bien qu’il existe environ 40 groupes ethniques différents, ils sont regroupés dans trois catégories(1), les Lao Loum (Laotiens du bas), les Lao Theung (Laotiens du dessus) et les Lao Soung (Laotiens des hauteurs). Les groupes se différencient entre autres par leur origine, par les parties du pays qu’ils occupent, mais surtout par les techniques agricoles qu’ils utilisent. Alors que les Laotiens du bas font surtout de la riziculture inondée, les deux autres pratiquent l’agriculture sur abatis-brûlis, à quelques différences près(2).

Pour pratiquer cette technique agricole, les gens doivent d’abord défricher une partie de la forêt pour ensuite la laisser sécher et finalement la brûler(3). Ces résidus peuvent ainsi nourrir le sol et aident les différentes cultures à pousser, principalement le riz(4). Les régions montagneuses du Laos ont une biodiversité très riche, donc le gouvernement dénonce cette pratique agricole en disant qu’elle est une menace pour l’environnement et qu‘elle met à risque des variétés de plantes et d’animaux uniques à la région(5). Le gouvernement laotien a donc mis en place une politique très stricte pour éliminer l’agriculture sur brûlis.

De plus, puisque des parties de la forêt sont détruites pour l’agriculture, ça met en danger l’une des principales sources de revenu du pays, l’exploitation des produits du bois comme le tek et le caoutchouc. Cependant, cette exploitation cause autant de problèmes à l’environnement(6). Il y a donc un conflit entre les intérêts gouvernementaux et les techniques agricoles traditionnelles des peuples montagnards. Puisque les membres du groupe Lao Loum occupent la majorité des postes gouvernementaux, ces derniers vont prendre des décisions qui vont plutôt en faveur de l’économie et vont délaisser leur intention de former une nation unie(7).

Pour mieux appliquer sa politique d’abolition de l’agriculture sur brûlis, le gouvernement ne peut simplement se contenter de substituer cette technique pour celle pratiquée par la majorité des basses terres. La riziculture inondée n’est pas convenable pour l’habitat des minorités puisque les montagnes sont trop abruptes. Les partielles de terres qui sont adéquates, dans les vallées, vont être prises par les « Lao d’en bas » à cause de la population grandissante(8).

Certaines communautés qui ont encore accès à des terres convenables vont volontairement adopter la culture du riz inondée, mais ils sont souvent laissés à eux-mêmes. Le gouvernement ne leur envoie pas vraiment d’aide financière, ne les aide pas à trouver les moyens matériels nécessaires ni l’aide pour leur apprendre ces nouvelles techniques qui leur sont totalement inconnues(9).

Le gouvernement laotien propose aussi comme solution de déplacer des communautés, leur permettant ainsi garder le contrôle sur les ressources forestières. Le gouvernement propose entre autres de créer de nouveaux villages qui ont des services gouvernementaux, mais aussi des routes et des magasins qui vont permettre à la population de participer à l’économie. Cependant, lorsque certaines familles intéressées par ces opportunités ont déménagé, les routes qui leur auraient permis de transporter du bétail étaient infranchissables durant la majeure partie de l’année(10). Lorsque le gouvernement a réglé ce problème, ce sont les familles Lao Loum qui ont le plus été attirées par ces nouvelles opportunités et ces nouveaux services.

Cette relocalisation permettrait aussi de contrôler et d’assimiler les minorités qui sont perçues comme déviantes à cause de leur mode de vie différent(11). Les Lao Loum leur font aussi peu confiance puisqu’elles supportent davantage l’ancien gouvernement et qu’elles participent à quelques insurrections contre le gouvernement actuellement en place.

Il faut d’ailleurs comprendre que pendant la Deuxième Guerre mondiale, alors que les Laotiens commençaient leur lutte pour l’indépendance, les pouvoirs politiques se divisaient majoritairement en deux partis. D’un côté, il y avait le Gouvernement Royal du Laos, surtout dirigé par les Lao des basses terres. Le parti de droite, le Pathet Lao, était quant à lui surtout dirigé par les Lao Theung et les Lao Soung puisque la base du parti se trouvait dans leur territoire, c’est-à-dire les montagnes de l’est(12). Le Pathet Lao a pris le pouvoir en 1975, mais quand ils ont dû créer un gouvernement et développer leur économie, les membres du parti sans expérience ni éducation ont dû laisser leur place aux anciens bureaucrates, c’est-à-dire les Lao Loum(13).

Le gouvernement étant plus poussé à favoriser les intérêts économiques du groupe majoritaire, les minorités ethniques voient leur culture et leurs traditions mises en danger puisque les solutions alternatives du gouvernement sont difficilement applicables et la relocalisation, liée à l’assimilation, est celle qui semble le plus viable.

[1] J. Ireson, Carol et W. Randall Ireson 1991
[2] Dufumier, Marc 1996
[3] Idem
[4] J. Ireson, Carol et W. Randall Ireson 1991
[5] Choocharoen, Chalathon, Andreas Neef, Pornchai Preechapanya et Volker Hoffman 2014
[6] J. Ireson, Carol et W. Randall Ireson 1991
[7] Idem
[8] Idem
[9] Dufumier, Marc 1996
[10] J. Ireson, Carol et W. Randall Ireson 1991
[11] Idem
[12] Idem
[13] Idem

Bibliographie

J. Ireson, Carol et W. Randall Ireson. 1991. « Ethnicity and Development in Laos ». Asian Survey,
1991 (Octobre) : 920-937.

Choocharoen, Chalathon, Andreas Neef, Pornchai Preechapanya et Volker Hoffman. 2014.
« Agrosilvopastoral Systems in Northern Thailand and Northern Laos : Minority People’s Knowledge versus Governement Policiy ». Land, 2014 : 414-436.

Dufumier, Marc. 1996. « Minorités ethniques et agriculture d’abattis-brûlis au Laos ». Cahier de
Science humaines, 1996 : 195-208.

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