Des siècles d’isolement pour «Philippe»

Par Hamza Fahamoé
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Nommées en l’honneur de l’infante d’Espagne, Philippe II d’Espagne, les Philippines sont une ancienne colonie espagnole à l’extrême Est de l’Asie du Sud-Est. Cet archipel de plus de 7000 îles, isolées en quelque sorte de ses voisins par la mer, a obtenu son indépendance des Espagnols et des Américains en 1898 et 1946 respectivement. Les frontières sont-elles le garant de l’identité philippine, ou l’identité philippine est-elle le garant des frontières? Pour répondre à cette question, nous allons définir deux types de nationalismes, l’un ethnique et l’autre territorial. Nous essayerons ensuite de voir duquel les Philippines se sont le plus inspirées pour leur mouvement nationaliste.

Tout d’abord commençons par le nationalisme ethnique. Celui-ci est la volonté de construire un État-nation basé autour de l’ethnie majoritaire. Un pays souverain qui possèderait ses propres frontières, où l’ethnie majoritaire pourrait y vivre. La Thaïlande en est un parfait exemple. L’État-nation se centre autour des Thaïs, l’ethnie majoritaire de la Thaïlande.

Ensuite, poursuivons sur le nationalisme territorial. Ce dernier va baser sa volonté de créer un pays sur un territoire déjà existant, souvent découpé par les puissances impérialistes. On peut citer le cas des Indes Néerlandaises, dont le nationalisme sera basé sur les frontières dessinées par les autorités hollandaises, qui devinrent l’Indonésie.

Dans le cas des Philippines, l’archipel est composé de milliers d’îles avec différentes ethnies (Cebuano, Filipino, etc.), langues (tagalog entres autres) et dialectes cohabitant. Il y a certes les Filipino qui sont importants sur Luçon, une des îles principales de l’archipel, mais ils ne sont pas assez influents et présents dans le reste de la colonie pour rassembler toute l’archipel autour d’un projet commun : l’indépendance. Les Filipino représentent environ un peu plus de 20% de la population. Les autres 80% ne peuvent se reconnaitre dans l’idée d’un pays centré autour de cette ethnie. Et le constat est que les autres ethnies ne représentent pas plus de 20% chacun, voire 1% à 2% dans certains cas (les Chinois ou les Tausug par exemple). De par la diversité ethnique, sans majorité présente aux Philippines, le nationalisme ethnique n’y trouve donc pas échos.

Ce qui n’est pas le cas du nationalisme territorial. Les frontières sont déjà découpées par les autorités de Madrid et son insularité les protège de l’expansionnisme de ses voisins britanniques (à travers la Malaisie par exemple). La libre circulation supposée à l’intérieur de la colonie va favoriser ce mouvement nationaliste. Les fonctionnaires locaux qui vont être appelés à être mutés un peu partout dans l’archipel, l’espagnol comme langue vernaculaire et la soumission à une même autorité centrale vont permettre aux colonisés du Nord de Luçon comme au Sud de Mindanao de prendre conscience qu’ils font partie d’une même réalité politique : les Philippines. L’union faisant la force, il est mieux de s’allier pour l’indépendance de l’archipel au complet, au lieu de se battre pour la libéralisation de chaque île individuellement.

Cependant, avoir un territoire ne suffit pas à la lutte pour l’indépendance. Il faut aussi réussir à définir un «nous» commun, rassembleur, qui va pouvoir s’opposer aux colonisateurs. Dans un nationalisme ethnique, ce «nous» va être l’ethnie majoritaire. Mais dans un nationalisme territorial, que représente ce «nous»? Aux Philippines, il n’y a pas d’ethnie majoritaire, ni même de religion unificatrice (5% de musulmans vivent dans le Sud). À défaut de trouver un «nous» à l’intérieur des frontières, on va se servir de l’ennemi commun, les Espagnols, pour unifier la population. Cet ennemi commun va aider à créer un «nous» basé sur ce que les Philippins ne sont pas : Espagnols. José Rizal lui-même (héros national philippin pour l’indépendance) va se moquer dans l’un de ses ouvrages de ses compatriotes s’habillant ou parlant comme les Espagnols. image2

Le nationalisme territorial va pousser à la création d’une identité philippine inclusive à la fois de toutes les minorités, religions et langues. Cette identité philippine créée grâce au nationalisme territorial va venir à son tour la légitimer. La boucle est bouclée.

Pour conclure, nous avons vu ce qu’est le nationalisme ethnique et territorial. Le premier va baser son désir d’État-Nation sur l’ethnie majoritaire, alors que le second sur les frontières déjà définies par le pouvoir central. Les Philippines vont se servir du nationalisme territorial, au lieu du nationalisme ethnique, car elle s’applique mieux à leur situation géopolitique et qu’il permet par la même occasion de créer une nouvelle identité, une identité philippine, qui va venir renforcer le projet d’indépendance du pays. En ce sens, les frontières sont les garants de l’identité philippine. Les frontières, naturelles ou créées par les Hommes, peuvent être le salut économique de bien des pays. Après l’indépendance, la situation économique de beaucoup d’ancienne colonie, devenue indépendant, sont critiques. Sauf à quelques exceptions, où les frontières vont aider à relever ces jeunes pays. Et dans un cas, le signe de sa prospérité : Singapour. Nous verrons donc dans le billet suivant comment les frontières ont joué un rôle important dans le succès économique de la Cité-État.image3

Sources:
Hélène Goujat, 2005 «Réforme ou révolution : le projet national de José Rizal (1861-1896) pour les Philippines». Paris : Connaissances et savoirs c2010

Nicole Revel-MacDonald, 1983 «Kudaman : une épopée palawan chantée par Usuj». Paris : Ed. de l’École des hautes études en sciences sociales 1983

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