Les sentiments anti-vietnamiens au Cambodge: leur origine et leur impact

Par Maude Fagnant

À l’indépendance du Cambodge en 1953, de forts sentiments antivietnamiens ont commencé à teinter les discours politiques. Des attaques récurrentes, parfois fatales, contre les familles d’origine vietnamiennes ont eu lieu jusqu’en 1998. Cette attitude s’explique entre autres par de nombreuses défaites face aux Vietnamiens, mais aussi par l’attitude des Français lors de leur colonisation qui préféraient ces derniers, considérés comme plus travaillants que les Cambodgiens. La peur qu’ils envahissent le pays était aussi très présente(1).

À l’époque des royaumes agraires, le royaume du Nam Viet, fondé en -210, étendait son territoire vers le sud dès 1009 avec l’arrivée au pouvoir de la dynastie Ly. Cette expansion se faisait au détriment de leurs voisins, le royaume d’Angkor (Cambodge actuel). Cette expansion territoriale s’est poursuivie pendant huit siècles, menant presque à la disparition du Cambodge puisque la Thaïlande prenait aussi des parties du territoire à l’ouest du pays(2).

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Lorsque les Français sont arrivés au milieu du 19e siècle, ils établirent un protectorat avec le Cambodge, leur redonnèrent leurs terres, mais continuèrent également à encourager les Vietnamiens à s’y installer. Les Français voulaient entre autres qu’ils occupent les postes dans l’administration coloniale puisqu’ils parlaient majoritairement mieux français que les Khmers et n’avaient pas de liens avec les élites cambodgiennes. Cependant, c’était aussi dans l’intérêt des Français d’utiliser ces tensions pour s’assurer de diviser les peuples de sa colonie, minimisant ainsi le risque de révolte(3). Entre 1874 et 1951, le nombre de Vietnamiens au Cambodge passa de 5 000 à environ 240 000(4).

En 1953, lorsque le prince Sihanouk prit les reines du pouvoir, les relations entre les deux Vietnams et le Cambodge sont devenues problématiques. Les forces armées du Vietnam du Sud utilisaient le Cambodge comme refuge et point de transport, causant des inquiétudes chez certains politiciens et hauts gradés de l’armée cambodgienne. Ils ont commencé à douter de l’allégeance de la minorité vietnamienne, les soupçonnant de collaborer avec le Vietnam. Cette crainte s’est traduite dans de nouvelles politiques concernant les immigrants, comme une nouvelle loi qui interdisait à tous les étrangers d’occuper 18 emplois bien précis, dont les plus occupés par la minorité vietnamienne(5).

Dans ce contexte, les discours politiques vont changer parce que les politiciens vont utiliser les conflits entre les États pour s’attaquer à cette minorité(6). Cependant, elle s’identifie comme étant Cambodgienne puisque leurs familles ont immigré il y a plusieurs générations et n’ont pas d’autres liens avec le Vietnam que leur origine ethnique(7).

En 1970, Lon Nol, premier ministre sous Sihanouk, prend le pouvoir suite à un coup d’État et s’engage dans des combats contre le Vietnam du Nord, craignant de se faire coloniser dans l’éventualité que ce dernier gagne la guerre contre le Sud. Il utilisa la peur et la haine comme outil de propagande et réussit à retourner le peuple contre la minorité dont les commerces étaient maintenant boycottés. Le régime de Lon Nol fut fortement teinté de racisme et de xénophobie, entrainant des milliers de membres de la minorité vietnamienne à fuir le pays. Ceux qui préféraient rester ont été emprisonnés ou massacrés(8).

Le conflit entre le Vietnam du Nord et le gouvernement de Lon Nol fut assez déstabilisant pour que les Khmers rouges, une faction rebelle menée par Pol Pot, prennent le pouvoir. Malgré le changement de pouvoir, l’attitude envers les Vietnamiens et la minorité vietnamienne resta la même. Les Khmers Rouges disaient qu’ils étaient des sauvages qui n’attendaient que la bonne occasion pour envahir le Cambodge, comme ils l’avaient fait à l’époque des royaumes agraires. Cependant, la minorité vietnamienne ne fut pas la seule victime de ce régime puisque ce qui est aujourd’hui appelé le génocide cambodgien a eu lieu à la même époque(9).

Après que les Vietnamiens aient renversé le gouvernement de Pol Pot en 1978, la République Populaire du Kampuchea a été fondée et exista jusqu’en 1991. Les Cambodgiens qui s’étaient réfugiés à l’extérieur pouvaient retourner au pays, tout comme la minorité vietnamienne. Ce fut d’ailleurs l’une des rares périodes de répits pour ces derniers puisque le gouvernement s’engagea à les aider à avoir de meilleures conditions de vie et à se trouver des emplois(10).

Cependant, à cette époque, les partis d’opposition(11) étaient révoltés par les politiques de la RPK, disant qu’il s’agissait de politiques visant à vietnamiser le pays. La propagande antivietnamienne s’est de nouveau répandue dans les discours politiques et dans la population et malgré la mission de pays des Nations Unies au Cambodge à cette époque, des attaques de la population cambodgienne contre la minorité ont eu lieu, faisant en sorte que ces derniers quittèrent le Cambodge(12).

Les attaques se sont essoufflées en 1998 lors de la formation d’une nouvelle coalition. Son objectif était de régler les problèmes de discrimination raciale, but qui est encore en place aujourd’hui. Les partis d’opposition devaient aussi cesser d’exprimer des sentiments antivietnamiens, ce qui a pu être remarqué lors des élections de 2003 alors que Sam Rainsy, chef du Parti Sam Rainsy, a démenti les accusations disant qu’il était antivietnamien(13).

Depuis 2000, le gouvernement cambodgien continue de travailler sur les politiques aidant les conditions de vies de sa population d’origine vietnamienne. Depuis, les attaques directes ont cessé et le gouvernement vietnamien n’a rien reproché au gouvernement cambodgien en ce qui concerne le traitement de la population d’origine vietnamienne, mais les préjugés sont toujours présents au sein de la société et certains membres de cette minorité se sentent encore parfois persécutés(14).

[1] S. Berman, Jennifer 1996
[2] De Koninck, Rodolphe 2005
[3] Amer, Ramses 1994
[4] Idem
[5] Idem
[6] Idem
[7] S. Berman, Jennifer 1996
[8] Idem
[9] Idem
[10] Amer, Ramses 2013
[11] Le Parti Démocratic du Kampuchea, Le Front de Libération National des Khmer et le Front Uni National pour un Cambodge Indépendant, Neutre, Pacifique et Coopératif
[12] S. Berman, Jennifer 1996
[13] Amer, Ramses 2013
[14] Idem

Bibliographie

Amer, Ramses. 1994. « The Ethnic Vietnamese in Cambodia: A Minority at Risk?». Contemporary Southeast Asia, 1994 (Septembre) : 210-238.

Amer, Ramses. 2013. « Domestic Political Change and Ethnic Minorities – A Case Study of the Ethnic Vietnamese in Cambodia ». Asia-Pacific Social Science Review, 2013 : 87-101.

De Koninck, Rodolphe. 2005 « Les Premiers Sédiments de l’Histoire ». L’Asie du Sud-Est. Paris: Armand Colin, 40-55.

S. Berman, Jennifer. 1996. « No Place Like Home : Anti-Vietnamese Discrimination and Nationality in Cambodia ». California Law Review, 1996 (Mai) : 817-874.

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