Les pythons et la difficile coopération internationale

Par Alexia Ludwig

Les serpents figurent parmi les 10 espèces d’animaux les plus dangereux pour l’Homme [1]. Mais l’Homme est également un grand prédateur de cette espèce. Depuis les années 70, les pythons réticulés sont convoités par les marques de luxe comme Gucci, Hermès, Prada ou encore Louis Vuitton. En Malaisie comme dans d’autres pays de la région asiatique, l’extinction des pythons inquiète.

Dans cette vidéo, des chasseurs professionnels malaisiens, jamais ou très peu protégés, à mains nues et simplement équipés d’un filet, s’exposent à de nombreux risques pour répondre à cette demande de peaux. Des milliers d’entre eux dépendent des pythons pour vivre et subvenir aux besoins de leur famille. Même si les revenus sont très variables et imprévisibles d’un mois à l’autre, certains privilégient cette activité car elle ne demande pas un suivi et un effort réguliers contrairement au travail dans les plantations.

Créée en 1973, CITES est une Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction liant 180 pays dont l’Union Européenne et de nombreux pays asiatiques. En théorie contraignante, son talon d’Achille est qu’elle est considérée dans la pratique comme un simple cadre et qu’il revient à chaque partie de l’adapter dans sa législation nationale [2].

Depuis plus d’une dizaine d’années, des organisations locales et internationales, mais aussi certaines autorités occidentales s’accordent sur la rareté grandissante des pythons en Malaisie. Jusque-là, la Malaisie était le premier pays exportateur mondial. En 2004, au vu de la situation, l’Union européenne interdit l’importation de peaux de pythons malaisiens. De fait, ceci impacte négativement la filière malaisienne et les familles concernées deviennent vulnérables. Désormais, la production malaisienne de peau de pythons est destinée en grande partie au marché asiatique (Singapour, Corée du Sud, Chine), mais les peaux se vendent 30 % moins cher qu’avant l’interdiction [3]. À titre d’exemple, pour un sac à main en cuir de python vendu à 6 000 dollars la marque reçoit 5 700 dollars (soit 95 % du prix de vente) alors que les chasseurs et les fournisseurs asiatiques se partagent les 300 dollars restants.

Traffic, ONG internationale surveillant le commerce de la faune et de la flore, accueille favorablement l’interdiction. Toutefois, elle réaffirme la nécessité d’un système de traçabilité infaillible pour vérifier que les peaux sont exportées légalement et durablement.

En plus de cela, les autorités malaisiennes ont instauré un système de permis de chasse payant instaurant un quota afin de limiter les captures. Une autre mesure dommageable pour les chasseurs qui ont maintenant de la difficulté à financer cette licence obligatoire [4].

Néanmoins, l’interdiction européenne n’est pas toujours efficace et dans certains cas elle ne fait qu’ajouter un acteur intermédiaire. Faute de législation malaisienne interdisant l’exportation totale des peaux de pythons, ces dernières sont exportées vers l’Union européenne via d’autres pays qui sont simplement des points d’escale. Par exemple, certaines peaux malaisiennes transitent par Singapour ou bien même par la Turquie, pays dont la procédure d’adhésion à l’Union européenne est en cours [5]. La falsification des permis malaisiens pour les transformer en permis indonésiens est un autre stratagème utilisé pour contourner la loi. Ceci remet bien en cause l’efficacité des contrôles douaniers et la volonté des différentes autorités gouvernementales de résoudre le problème.

Afin de retarder l’extinction de l’espèce, l’Union internationale de conservation de la nature (UICN) est en faveur du développement de l’élevage. Qui plus est, peut-être que cela permettrait de reconsidérer les importations malaisiennes en Europe. Contrairement au cas vietnamien ou thaïlandais, l’élevage demeure marginal en Malaisie, car il implique des coûts supplémentaires importants (installation d’enclos, nourriture, etc.) que les entrepreneurs locaux ne sont pas prêts à assumer. Par ailleurs, la chasse bénéficierait à plus de familles que les fermes d’élevage [6].

Ferme d'élevage de pythons (photo Daniel Natusch / IUCN)

Ferme d’élevage de pythons (photo Daniel Natusch / IUCN)

En 2013, après des manifestations et inquiet de l’origine des peaux qu’il utilisait [7], Kering s’est associé à l’UICN. Leader mondial de l’habillement et des accessoires qui regroupe de grandes marques dont justement Gucci, Kering semble vouloir privilégier l’élevage afin de préserver l’espèce de l’extinction [8].

La crédibilité de cette honorable préoccupation peut être remise en question. Après une simple observation personnelle, le groupe prône à l’aide d’une petite animation sur son site un développement durable. Tout en « s’engageant », il apparaît être préoccupé par ses conséquences sur les ressources naturelles et sur les populations locales. Il essaie d’être transparent dans ses activités en fournissant ouvertement divers documents. Néanmoins, des doutes subsistent quant aux évaluations de leurs activités : parfois, les contrôles ne sont pas réalisés par des instances gouvernementales ou non influençables, mais par un « réseau de contributeurs mondiaux » — ou encore ici des cabinets d’audit privés tels KPMG et Deloitte [9]. La corruption est possible bien qu’il affirme respecter les lois en vigueur.

Finalement, le problème est complexe. Bien qu’il semble y avoir peu (ou pas) d’actions militantes pour la défense des reptiles en Malaisie, certaines voies s’élèvent en Europe. Alors que ces manifestations sont pour la bonne cause, elles mettent en péril de nombreux Malaisiens qui vivent des revenus des peaux. De plus, un tel sujet ne peut être traité correctement qu’avec une solide coopération entre les pays importateurs et les pays exportateurs. De simples lois et engagements unilatéraux ne suffisent pas. Des accords bilatéraux entre les pays et dont la non-application serait systématiquement sanctionnée sont primordiaux. Sous l’égide d’une instance supranationale indépendante, de tels accords aideraient à trouver un juste milieu entre la sauvegarde des espèces, un commerce plus éthique et responsable et une meilleure répartition des revenus entre les petits travailleurs locaux et les grandes entreprises occidentales.

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Références

[1] Delphine Bossy. « Quels sont les animaux les plus dangereux pour l’Homme ? », Futura-Sciences
[2] A. Kasterine, R. Arbeid, O. Caillabet et D. Natusch. The Trade in South-East Asian
Python Skins
: p. 4
[3] Anne-Charlotte Gourraud, documentaire “Malaisie à fleur de peaux”, Public Senat
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] D. Natusch, J.A. Lyons. Assessment of Python Breeding Farms Supplying the
International High-end Leather Industry
: p. 51
[7] Dominique Chapuis. « Kering s’inquiète de l’origine des peaux de python », Les Echos
[8] Loïc Chauveau. « D’où proviennent les peaux de serpent des accessoires de luxe ? », Sciences et Avenir
[9] Kering. « Note méthodologique du reporting environnemental de Kering en 2013 ».


Bibliographie

Bossy, D. 2014. « Quels sont les animaux les plus dangereux pour l’Homme ? », Futura Sciences. En ligne. http://www.futura-sciences.com/magazines/nature/infos/qr/d/zoologie-sont-animaux-plus-dangereux-homme-5910/

Chapuis, D. 2014. « Kering s’inquiète de l’origine des peaux de python », Les Echos. En ligne. http://www.lesechos.fr/01/04/2014/LesEchos/21659-091-ECH_kering-s-inquiete-de-l-origine-des-peaux-de-python.htm

Chauveau, L. 2014. « D’où proviennent les peaux de serpent des accessoires de luxe ? », Sciences et avenir. En ligne. http://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/20140331.OBS2009/d-ou-proviennent-les-peaux-de-serpent-des-accessoires-de-luxe.html

CITES. En ligne. http://www.cites.org/fra/disc/what.php

Gourraud, A.-C. 2014. « Malaisie à fleur de peaux » (vidéo documentaire), Public Sénat. En ligne. http://replay.publicsenat.fr/vod/les-dessous-de-la-mondialisation/malaisie,-a-fleur-de-peaux/161504

Kasterine, A., R. Arbeid, O. Caillabet et D. Natusch. 2012. « The Trade in South-East Asian Python Skins ». International Trade Centre (ITC), Geneva. En ligne. http://www.intracen.org/uploadedFiles/intracenorg/Content/Publications/The%20Trade%20in%20Southeast%20Asian%20Python%20Skins%20for%20web.pdf

Kering. « Le compte de résultat environnemental ». En ligne. http://www.kering.com/fr/dev-durable/compte-de-resultat-environnemental

Kering. « Note méthodologique du reporting environnemental de Kering en 2013 ». En ligne. http://www.kering.com/sites/default/files/document/note_methodologique_du_reporting_environnemental_de_kering_en_2013_-_vfinal.pdf

Natusch, D., et J. A. Lyons. 2014. Assessment of Python Breeding Farms Supplying the International High-end Leather Industry. IUCN. En ligne. https://portals.iucn.org/library/sites/library/files/documents/SSC-OP-050.PDF

TF1. 2011. Extrait du journal télévisé. En ligne. http://videos.tf1.fr/jt-we/2011/manifestation-choc-contre-les-enseignes-de-luxe-6882601.html

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