La Diaspora Chinoise en Malaisie

Par Marc-Olivier Cléroux-Cloutier

Les Malaisiens d’origines chinoises constituent un quart de la population totale, mais détiennent près de 60% du revenu national Malaisien. De même, les Sino-Malaisiens ont, sur quasiment tous les fronts économiques (métiers spécialisés, éducation tertiaire, etc.) des pourcentages plus élevés que chez les Malaisiens Malais (ou Bumiputra). Avec cette domination économique, on croirait que les politiques locales encouragent l’enrichissement de la population chinoise, mais c’est en fait tout le contraire. Depuis 1971 des politiques discriminatoires favorisant les Bumiputra sont en place afin de favoriser l’accès de ceux-ci à l’éducation et une possibilité de mobilité sociale. Ces politiques, même en ayant significativement aidé les Bumiputra de manière économique, ont depuis les 40 dernières années menées à du favoritisme raciale et ont nui à l’établissement d’un système d’éducation méritocratique. Pour quelle raison cette Nouvelle Politique Économique (NEP) a-t-elle été instaurée et quelles sont les conséquences sur la minorité ethnique Sino-Malaisienne?

Durant l’ère coloniale, alors que la Malaisie actuelle faisait partie de l’empire Britannique, le développement commercial de la région tentait d’impliquer le moins possible la population locale afin d’éviter de mettre une pression modernisatrice sur celle-ci. Cette « protection » garantie par les autorités coloniales assurera que la population Malaise restera très peu impliqués dans l’économie de la région, à l’avantage des communautés Chinoises et des ces mêmes autorités qui auront le monopole de la production du pays. La Malaisie deviendra le premier producteur d’étain et de caoutchouc au monde, mais jusqu’en 1970 près de la moitié des Bumiputra vivront dans la pauvreté et les communautés indigènes se partageront moins de 3% de l’économie nationale.

Suite aux élections générales en 1969, une émeute raciale antichinoise éclata à Kuala Lumpur où un parti majoritairement Chinois remporta une victoire importante. Suite logique des émeutes raciales de 1964 à Singapour avant son expulsion de la Malaisie, cette émeute ébranla le pays, qui fut forcé de suspendre le parlement en le remplaçant temporairement par le National Operations Council, un gouvernement de tutelle qui avait comme objectif de rétablir l’ordre dans le pays. En 1971, celui-ci annonça le NEP, qui avait pour but de diminuer le substantiel écart financier entre les Bumiputra et les Sino-Malaisiens.

Dans les 40 dernières années depuis l’application de cette politique économique, par contre, les faiblesses de celles-ci se sont faites marquantes. Le NEP avait pour objectif de réduire le taux de pauvreté total, d’augmenter le taux d’éducation ainsi que d’égaliser les parts de marchés. En 1971, le capital social appartenait à 2.4% aux Bumiputra, 34.3% aux Sino-Malaisiens, Indo-Malaisiens et autres Malaisiens et 63.3% à des étrangers. Le NEP, avec l’expansion économique plutôt qu’avec une redistribution de la richesse, voulait changer ces taux pour un équilibre de 30-40-30. Pour atteindre ces objectifs, la Malaisie instaura des régulations sur le quota de Bumiputra en place dans des postes de gestion et dans le secteur manufacturier, de l’aide financière pour les entreprises majoritairement Bumiputra ainsi que pour l’achat de propriété résidentielle, des pourcentages minimales dans les universités publiques de Bumiputra ainsi qu’une vente obligatoire de 30% des actions à la bourse aux Bumiputra.

L’objectif de réduction de la pauvreté est un franc succès pour le NEP, ayant réduit le pourcentage de pauvreté de la population de 49.3% en 1970 à 3.8% en 2009. Toutefois la victoire n’est pas totale puisque, bien que les cibles principales du NEP originale (les Bumiputra des zones rurales) soient en effet bien moins pauvres qu’avant, les communautés urbaines pauvres, que ce soit Sino-Malaisiennes, Indo-Malaisiennes et même les Bumiputra, sont toujours affligés d’une pauvreté que le NEP semble avoir oublié.

Quant à l’éducation, les quotas raciaux dans les universités a mené à une discrimination raciale systémique. Le nombre de places pour les non-Bumiputra dans les universités publiques étant extrêmement limités comparé aux Bumiputra renforce une compétition beaucoup plus sévère entre les non-Bumiputra. Cette compétition oblige nombre de non-Bumiputra (spécialement les Sino-Malaisiens) à s’inscrire dans des universités privées dispendieuses. Certains même sont obligés d’étudier à l’extérieur du pays, notamment à Singapour et aux États-Unis. Ces options ne sont par contre pas disponibles aux non-Bumiputra moins fortunés qui sont obligés de passer par un système d’éducation secondaire et tertiaire qui favorise largement les Bumiputra de plusieurs façons.

Ces politiques aliénantes envers les Sino-Malaisiens (et autres non-Bumiputra) amène graduellement en Malaisie le phénomène de la « l’exode des cerveaux », où le nombre de personnes ayant une éducation tertiaire émigre de façon permanente vers d’autre pays. Entre 2008 et 2009 seulement, plus de 300,000 Malaisiens (principalement Chinois et Indiens) avec une éducation tertiaire émigreront vers d’autres pays. En 2010, plus d’un million de Malaisiens talentueux vivaient à l’extérieur de la Malaisie. Cette exode serait une raison majeure de la réduction de la croissance économique; 4.6% par année dans les années 2000 versus 7.2% dans les années 90.

Si la tendance se maintient et que les politiques pro-Bumiputra du NEP ne changent pas, la population de Malaisie risque de se polariser de plus en plus et créer un fossé insurmontable entre les différents groupes ethniques. Les politiciens de Malaisie sont présentement occupés à garder la loyauté de leur électorat et préfère ne pas jouer sur la carte raciale qu’implique la modification de ces politiques, mais socialement la plus jeune génération semble indiquer qu’elle serait prête à des réformes afin de supprimer le favoritisme raciale très présent dans la Malaisie d’aujourd’hui.

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