Le capitalisme d’État malais, un modèle de développement économique peu conventionnel

Par Olivia Amos

La Malaisie, petit pays composé de deux régions distinctes, une insulaire sur l’île de Bornéo et l’autre sur la Péninsule de Malacca, est aujourd’hui l’un des nouveaux pays industriels les plus dynamiques d’Asie du Sud-Est (30eme économie mondiale selon le site de la CIA). Cela n’est pas évident à comprendre lorsque l’on connait la composition ethnique du pays. La Malaisie est une société hétérogène et fragmentée entre différentes ethnies de culture, langue et religion diverses. Le rapportde Donald Snodgrass, relève que 62% de la population est malaise, 30% chinoise et 8% indienne. C’est pendant l’ère coloniale que les britanniques, face à une pénurie de la main d’œuvre, font appel aux chinois et aux indiens pour mener à terme leurs grands travaux au cours du 19eme siècle et modifient définitivement la structure sociale du pays.

Les NPIA (Hong Kong, Taiwan, Singapour, Corée du Sud) attribuent la forte croissance économique déclenchée au tournant des années 70/80 à la coordination de leurs forces économiques, permise par l‘homogénéité ethnique de leur société.  Cela n’a pas été le cas de la Malaisie. Pourtant, la croissance entre 1970 et 1990 a été exceptionnelle, l’une des plus rapide au monde au regard du taux de croissance du Pib (9% par an en moyenne selon les chiffres de la Banque Mondiale). Que s’est-il donc passé en Malaisie ? C’est précisément cette segmentation communautaire de la société malaisienne qui peut être identifiée comme l’élément déclencheur du décollage économique malaisien.

En 1957, année de l’indépendance, les malais sont numériquement et politiquement dominants, néanmoins les deux autres ethnies, et surtout les chinois, détiennent le pouvoir économique dans le pays. En 1969, d’importantes émeutes raciales surviennent à Kuala Lampur, capitale de la Malaisie. La communauté chinoise menace de s’emparer du pouvoir politique. Après avoir décrété l’état d’urgence, le gouvernement instaure une politique qui cherche à restaurer la paix sociale et les fondements d’une unité nationale en favorisant l’enrichissement des Malais. Il met alors en place un ambitieux programme en 1971 : c’est  le NEP (New Economic Policy). Il s’agit d’une liste d’objectif à atteindre sur une période de vingt années (1970-1990) afin d’établir une plus grande harmonie et cohésion de la société

Ses deux objectifs sont d’une part l’éradication de la pauvreté, et d’autre part la restructuration de la société malaisienne afin de corriger les inégalités économiques. Il fallait impérativement éliminer la « division ethnique du travail » héritée de l’époque coloniale. Le NEP articule donc une politique de justice sociale en faveur des Malais et un interventionnisme dans le domaine économique ouvrant la voie à un développement accéléré fondé sur l’industrialisation.

Au début des années 1970, le plan marche effectivement; la croissance économique est au rendez-vous et le secteur public en expansion, c’est-à-dire que le gouvernement intervient désormais directement au niveau de la création d’entreprises dans les secteurs qu’ils souhaitent développer. « L’État malaisien devient un État développeur, un État entrepreneur industriel, financier » affirme Elsa Lafaye de Micheaux dans son ouvrage. Surtout, il garde son indépendance n’hésitant pas à rejeter les normes des organisations internationales qui ne lui conviennent pas. En parallèle, une zone de libre commerce est créée. La Malaisie commence à s’ouvrir aux échanges, au commerce international et s‘intègre dans la division internationale du travail en spécialisant son économie dans les industries de composant électronique ainsi que de vêtement, toutes deux à forte intensité de main d’œuvre. De nombreux emplois sont créés, ce qui  permet aux enfants de fermiers d’obtenir des emplois dans le secteur secondaire et tertiaire.

La décennie 1980 amène d’autres défis. Mahathir Mohamad arrive au pouvoir en 1981, il favorise une croissance économique qui n’est plus portée exclusivement par l’État mais qui repose sur une étroite collaboration entre le public et le privé, dénommée par imitation du Japan incorporated, le Malaysia Incorporated. Cependant, cette privatisation s’effectue sans recul de l’État, dont les dépenses publiques ne cessent de s’accroître. Il s’agit davantage d’un changement dans la forme et la méthode de l’engagement de l’État plutôt que d’un retrait. Le gouvernement décide de libéraliser davantage l’économie en s’ouvrant à l’épargne étrangère en 1986. Des milliards de dollars sont investis. S’en suit une longue période de prospérité, de plein emploi et de migration des travailleurs jusque la fin de la décennie.

La méthode peu orthodoxe du développement économique malais généré par le NEP, a globalement atteint ses objectifs : réduction de la pauvreté à moins de 5 % en 1990 contre près de 50 % en 1970, une classe moyenne a émergé et les inégalités de revenus ont diminué.

Toutefois, le succès du NEP est à nuancer. Ce programme a relancé certains clivages dans la société malaisienne en générant la fuite des cerveaux chinois, qui ne trouvaient plus d’avenir en Malaisie. Ce problème est d’ailleurs toujours d’actualité, et cela, malgré les tentatives de réforme du NEP au tournant de la décennie 1990 via le National Development Policy (le NDP s’inscrit dans un projet ambitieux appelé Vision 2020 visant à faire de la Malaisie un pays totalement industriel et développé d’ici 2020 (voir photo 2) et que ce développement soit plus équilibré et juste). Le rapport délivré en 2011 par la Banque mondiale, intitulé « Brain drain », montre qu’une montée en gamme technologique de la production sera difficilement réalisable tant que la Malaisie ne réforme pas totalement sa politique de discrimination positive qui devient contre-productive.

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Bibliographie

1. Ouvrage.

Lafaye de Micheaux, Elsa. 2012. La Malaisie, un modèle de développement souverain ?, Lyon, ENS Éditions, 344 pages.

2. Rapport.

Snodgrass, Donald R. « Successful Economic Development in a Multi-Ethnic Society: The Malaysian Case » Harvard Institute for International Development, Harvard University, 1995, 32 pages. En ligne:http://www.earth.columbia.edu/sitefiles/file/about/director/pubs/503.pdf

3. Article de journal.

Ariff, Mohamed. « The Malaysian economic experience and its relevance for the OIC member countries »  Islamic Economic Studies (November), 1998, Vol. 6, No. 1. En ligne:http://www.irti.org/irj/go/km/docs/documents/IDBDevelopments/Internet/English/IRTI/CM/downloads/IES_Articles/Vol%206-1..Mohamed%20Ariff..THE%20MALAYSIAN%20ECONOMIC%20EXPERIENCE%20AND%20ITS%20RELEVANCE.pdf

4. Site de la Banque Mondiale

5. Site de la CIA

6. Site officiel du gouvernement malaisien

7. Rapport de la Banque Mondiale

« Malaysia economic monitor- Brain drain », Washington DC : The Word Bank, 2011, 150pages. En ligne : http://www-wds.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/WDSP/IB/2011/05/02/000356161_20110502023920/Rendered/PDF/614830WP0malay10Box358348B01PUBLIC1.pdf

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