La colonisation et l’impact de la première Guerre d’Indochine sur le nationalisme au Laos

Par Clément Rivière,

A la veille de la Deuxième Guerre mondiale, les paysans sont dans l’ensemble misérables mais il n’y a pas encore de conscience nationale car dans un pays longtemps divisé, le sentiment d’appartenir à une ethnie ou à une région est en général plus fort que celui d’appartenir à une même nation.  Dans ces conditions, ce qui prévaut est un fort sentiment anti colons présent surtout chez les paysans et minorités ethniques exploités par la présence coloniale. Les vraies indépendantistes sont les jeunes formés en France comme cadres administratifs, et surtout les membres laotiens du Parti communiste indochinois, intégrés en 1936 avec l’aide de Ho Chi Minh [1].

Le peuple laotien semble s’accommoder de la domination française qui, par son administration coloniale, s’appuie sur des structures féodales pour gouverner le pays. Les meilleures terres et l’activité économique sont aux mains des colons et contrairement aux autres pays indochinois, la bourgeoisie laotienne est faible [2].

La France signe l’armistice en juin 1940 avec l’Allemagne et son affaiblissement facilite ainsi l’occupation japonaise en Indochine. La Thaïlande, qui a toujours eu des intentions annexionnistes envers ses voisins, lance une attaque contre le Cambodge et le Laos avec l’aide du Japon qui occupe la majeure partie de l’Indochine dès 1942. Au Laos, de manière à contrer les idéologies nippones et thaïlandaises, les français et l’intelligentsia laotienne, ont crée un journal, le « Lao Nhay », diffusant les idées nationalistes dans le but de créer une unité nationale [3]. Et un traité franco-Lao est signé établissant le protectorat sur le royaume de Luang Phabang.

Face à la défaite du camp allemand dès 1945, les japonais accordent l’indépendance au Laos ainsi qu’au reste de l’Indochine. Mais, le roi Sisavang Vong, sous protectorat français, veut rester fidèle à la France et refuse de déclarer l’indépendance avant qu’elle soit proclamée le 12 octobre 1945 [4]. C’est alors qu’il rentre en conflit avec son premier ministre, le prince Phetsarath Rattanavongsa, affichant clairement ses volontés nationalistes et indépendantistes. Cependant, contrairement à ce qui se passe au Viêt-Nam où une seule organisation révolutionnaire prend le pouvoir, les révolutionnaires laotiens, encore peu nombreux, ne sont pas encore assez forts pour s’imposer. Néanmoins, autour du prince, se forme un groupe indépendantiste, composé de jeunes aristocrates, fonctionnaires ou commerçants, sous le nom du « Lao Pen Lao » (le Laos aux laotiens) qui va être de plus en plus actif sur le terrain [5]. Après la capitulation japonaise, de manière à éviter le retour des français, Phetsarath proclame un nouveau gouvernement révolutionnaire, le Lao Issara. Et suite au retour de la France en Indochine, le prince rappelle du Viêt-Nam son demi-frère Souphanouvong, dit le « prince rouge », qui était avec Ho Chi Minh dans le but de créer un bloc indochinois contre le colonialisme. Ensemble, ils forment l’État lao (Pathet Lao) regroupant tous les royaumes du Laos [6].

Cependant, les troupes françaises débarquent à Saigon occupant toute l’Indochine dès la fin 1946 et éclate la première guerre d’Indochine. Le reflux des indépendantistes montre qu’ils n’ont pas pu mobiliser le peuple dans son ensemble. Mais l’Armée de libération et de défense du Laos, commandée par Souphanouvong sur ordre du Phathet Lao, livre des combats acharnés contre les français [7]. Et le Lao Issara, malgré son échec militaire, a contribué, par sa lutte, à la prise de conscience du peuple Lao et beaucoup de jeunes rejoignent le mouvement indépendantiste. Cependant, le gouvernement révolutionnaire est exilé à Bangkok et se scinde alors en deux groupes : la droite anticommuniste et la gauche marxisante. Le premier se rapproche des français et une amnistie est proclamée par le roi ainsi que la dissolution du Lao Issara, de manière à former un nouveau gouvernement royal dans la capitale du Laos : Vientiane [8]. Quant à la gauche, dirigée par Souphanouvong, elle se replie à la frontière Lao-vietnamienne et en 1950, les anciens dirigeants du Lao Issara qui ont refusé de se soumettre au gouvernement de Ventiane, crée par la France, organisent un Congrès national. Celui-ci donne naissance au Nèo Lao Issara (NLI), soit le « Front du Laos libre », mettant en place un gouvernement de résistance dirigé par le prince rouge [9]. Le NLI se dote à niveau national de structures administratives et militaires avec un programme simple : la résistance est nationale, de longue durée et totale. Elle a pour force principale le paysannat, et prend appui sur les régions rurales et montagneuses. Commencée avec de petits groupes de guérilla, la lutte armée prend donc de l’ampleur chez les paysans, d’autant plus que les mesures impopulaires que prend le gouvernement royal sous l’ordre de la France, contribuent à pousser les masses vers le NLI [10].

Ainsi, en 1952, deux ans après sa création le Front du Laos libre lance une offensive générale en coordination avec les forces vietnamiennes se soldant par une défaite française.  Elle est suivie par la signature des Accords de Genève en 1954, reconnaissant l’indépendance et la souveraineté territoriale du Laos. Mais le pays reste divisé entre le gouvernement royal, dirigé par la droite laotienne pro-française et plus tard pro-américaine, et le Pathet Lao aux fondements nationalistes mais s’orientant vers le communisme [11].

Bibliographie :

[1] LÉVY, Paul (1974), Histoire du Laos, Paris, Presses Universitaires de France, p. 89-100.

[2] idem.

[3] IVARSSON, Soren (2008), Creating Laos : The making of a Lao Space between Indochina and Siam, 1860-1945, Nordic Institute of Asian Studies,  no. 112, p. 190-216.

[4] idem.

[5] PHINITH Savèng, SOUK-ALOUN Phou ngeun, THONGCHANH Vannida (1998), Histoire du pays Lao, de la préhistoire à la république, Collection Recherches Asiatiques, Paris, Éditions l’Harmattan, p. 83-106.

[6] idem.

[7] idem.

[8] idem.

[9] LÉVY, Paul (1974), Histoire du Laos, Paris, Presses Universitaires de France, p. 89-100.

[10] idem.

[11] idem.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés