La démocratisation du Myanmar : une histoire américaine?

Drapeau_USA_Birmanie

George Orwell, l’auteur de l’angoissant et prophétique roman 1984, n’avait probablement pas prévu que le pays où il fut policier de 1922 à 1927 deviendrait l’un des pays les plus autoritaires de la planète. En effet, pendant plus de cinquante ans, le pouvoir politique échappa véritablement des mains de la population birmane tandis que le pays fut dirigé d’une main de fer  par une élite militaire. Ce fut donc un véritable coup de théâtre lorsque le gouvernement du Myanmar sous l’égide du président Thein Sein amorça une série de réformes démocratiques en 2011. Celles-ci menèrent aux premières élections libres (mais partielles) du 1er avril 2012 qui furent remportées par l’icône du mouvement démocratique birman, Aung San Suu Kyi . Ces élections, au-delà de leur importance pour la politique intérieure de ce pays, permit d’engager un nouveau dialogue entre le Myanmar et les pays occidentaux ainsi que d’assouplir les sanctions mises en place par ceux-ci après le refus de ce régime orwellien de reconnaitre le résultat des élections de 1990.

Jusqu’à très récemment, nombreux étaient ceux qui exprimaient des doutes concernant l’efficacité de la politique d’isolation américaine. Comme l’affirmait le politologue Donald E. Weatherbee en 2009 :

No other country (…) shares Washington’s seeming belief that sanctions will force the junta to change course. The junta has had ample access to ASEAN, Chinese, and Indian investment in resource development. (…) The economic pain has been felt by workers, many of them women who have become unemployed because of the closure of factories geared to Western consumers.[i]

Loin d’être uniquement jugée inefficace dans le dossier birman, cette politique d’isolation est aussi décriée dans le cas cubain[ii] et dans le dossier nucléaire iranien[iii]. Les récentes réformes au Myanmar ont cependant donné de nouvelles munitions aux partisans de cette politique. Ainsi, on peut s’interroger sur le rôle des sanctions américaines dans la démocratisation partielle de ce pays. Ce changement politique s’est en effet produit en l’absence de menaces internationales pressantes ou même de pressions internes majeures[iv].

Alors, utiles ou pas, ces sanctions contre ce régime orwellien ? Dans leur article The Democrats’ Opportunity[v], Min Zin et Brian Joseph expliquent que de nombreux facteurs peuvent expliquer le soudain phénomène de démocratisation du régime birman. Parmi ceux-ci, deux seraient des effets indirects des sanctions américaines. Dans un premier temps, l’isolement économique et politique du Myanmar l’aurait transformé progressivement en État satellite de la République populaire de Chine. En effet, si le commerce entre ces deux pays était de l’ordre de 9.5 millions de dollars américain en 1988 avant les sanctions, ce dernier était désormais de 4,7 milliards de dollars en 2011[vi]. Dans le cadre de cette relation bilatérale, le Myanmar possède d’importantes réserves d’hydrocarbures qu’il échange contre des capitaux sous forme d’investissements ainsi que du matériel militaire divers. Si la domination économique de la Chine est sans équivoque, sa domination politique l’est tout autant. Isolé sur le plan diplomatique, la Chine joua pour le Myanmar le rôle de protecteur. Cette position apparait notamment dans le fait que la Chine a utilisé son pouvoir de veto au Conseil de sécurité de l’ONU pour contrer des résolutions critiquant les violations des droits de l’homme au Myanmar. Ainsi, ce serait cette dépendance politique et économique envers son imposant voisin qui pousserait la junte à chercher accès à de nouveaux marchés ainsi que de nouveaux alliés.

China - Myanmar Oil-Gas pipeline

Dans un deuxième temps, il ne faut pas oublier que les sanctions eurent un effet catastrophique sur l’économie du Myanmar. Face à ses voisins de plus en plus dynamique, l’économie du Myanmar fait pâle figure. En effet, le Myanmar se retrouve à la 204e place dans le monde concernant son PIB par habitant ($1,400 en 2012) et à la 150e place pour les déficits budgétaires annuels (4,2% du PIB en 2012) [vii] L’absence de débouchés commerciaux importants et le manque de diversification au niveau des investissements empêchent une réelle croissance économique en Birmanie malgré ses importantes ressources naturelles. Les investissements chinois ne semblent donc pas être suffisants pour remplacer les capitaux occidentaux qui pourraient sauver l’économie de ce pays.

Face à ses informations, il semble donc que la politique d’isolation orchestrée par les États-Unis ait joué un rôle dans la démocratisation partielle de ce régime autoritaire. Toutefois, il ne faut pas être dupe. Si les États-Unis tentent aujourd’hui d’instaurer un régime démocratique dans la région, cet objectif n’a jamais été véritablement une priorité pour cette grande puissance. Comme le mentionne le politologue William H. Overholt concernant les projets de la politique étrangère américaine : […]  »democratization always took a back seat to economic development, regional institution-building, and military security. »[viii] De plus, il ne faut pas oublier que le pouvoir au Myanmar, malgré les récentes réformes, restent essentiellement entre les mains des militaires. C’est véritablement les élections présidentielles de 2015 qui permettront de voir l’engagement de la junte à céder sa place au pouvoir civil. Si le régime militaire se résigne, on pourra constater que ce dernier n’était pas l’équivalent de Big Brother après tout.

Big_brother_mod

Bibliographie scientifique :

Joseph, Brian et Min Zin.  » The Democrats’ Opportunity » dans Journal of Democracy. Octobre 2012, Volume 23, pp. 104-119

Weatherbee, Donald E. 2009. International Relations in Southeast Asia : The Struggle for Autonomy. Plymouth : Rowman & Littlefield Publishers

Overholt, William H. 2008. Asia, America,and the Transformation of Geopolitics. New York : Cambridge University Press

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[i]Weatherbee,p.253

[ii] http://www.cato.org/publications/speeches/four-decades-failure-us-embargo-against-cuba

[iii] http://www.businessweek.com/articles/2013-05-23/why-economic-sanctions-rarely-work

[iv] Joseph, Zin p.104

[v] Joseph, Zin p. 106

[vi] Joseph, Zin p. 107

[vii] https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/bm.html

[viii] Overholt p. 247

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