La corruption en Indonésie: Une entrave au potentiel économique du pays

Par Antoine de Blauwe

« Fitri Ono vit avec son mari et ses deux enfants dans une modeste maison sur l’Ile de Java en Indonésie. Son mari, seul revenu du foyer, gagne à peine de quoi subvenir aux besoins essentiels de la famille. Son maigre salaire ne lui permet pas de faire face aux dépenses imprévues ce qui force la famille à emprunter régulièrement de l’argent auprès d’une association de quartier. Les problèmes ne cessent de s’accumuler et le coût élevé de la corruption ne fait qu’aggraver la situation financière déjà précaire du foyer. Le 21 juin 2001 était jour de remise des carnets de notes à l’école primaire que fréquente la fille de Fitri. Une fois rendue à l’établissement, l’institutrice a informé Fitri de la mort d’un parent d’élève et de la nécessité d’aider financièrement l’orphelin. Même si la contribution était volontaire, l’institutrice a insisté pour que Fitri verse la sienne avant de se voir remettre le carnet de notes de sa fille ; elle a ainsi expliqué que les parents qui l’avaient précédée s’étaient acquittés de la contribution fixée à 20 000 Rupiah (environ 2 dollars américains) par famille. Perplexe, Fitri Ono est allée voir le directeur de l’école pour demander des explications. Ce dernier lui a avoué qu’aucun parent d’élève n’était décédé, mais il a refusé de la dispenser de cette contribution en rétorquant que cette question était du ressort de l’institutrice. Déconcertée, Fitri n’a eu d’autre choix que de retourner voir l’institutrice et de lui remettre, à contrecœur, la somme demandée pour que celle-ci consente enfin à lui remettre le carnet de notes de sa fille. »

Ce récit tiré de « Corruption and the Poor in Indonesia », un projet de recherche-action lancé par Partnership for Governance Reform in Indonesia, illustre malheureusement l’ordinaire du quotidien vécu par une partie de la population indonésienne et révèle l’ampleur de la corruption dans le pays, ancrée dans toutes les composantes de la société [1].

Une corruption fortement implantée dans la sphère politique

L’Indonésie était classée, en 2012, 118ème pays sur 178 en matière de corruption, selon le classement établi par l’ONG Transparency International [2].

En Indonésie, la corruption est d’abord profondément enracinée dans le domaine politique. Si la démocratisation de la vie politique a permis à la presse de s’emparer de ce sujet et de dénoncer régulièrement dans ses colonnes de retentissants scandales, le phénomène ne semble pas en passe de s’affaiblir. La décentralisation, entamée il y a une dizaine d’années, l’a même aggravée et les déclarations des plus hauts dirigeants indonésiens ne changent pas la donne [2].

Les scandales liés à la corruption se sont ainsi multipliés dans le pays lors de ces dernières décennies. Ils concernent le plus souvent des fonctionnaires locaux mais aussi des hauts dirigeants, le plus souvent accusés de détournements de fonds public. D’après certaines estimations, le dirigeant indonésien M. Suharto aurait ainsi amassé entre 15 et 35 milliards de dollars en vingt ans de règne [1].

Plus récemment, des accusations présumées de corruption visant l’entourage du président Susilo Bambang Yudhoyono et son parti (le Parti Démocrate) ont été révélées par des médias américains et australiens (Radio Australia) [3]. Ce scandale a entrainé la condamnation de l’ancien trésorier du parti actuellement au pouvoir, Muhammad Nazaruddin, à quatre ans et dix mois de prison pour faits de corruption et a considérablement affaibli le Parti Démocrate, l’un des plus puissants partis politiques en Indonésie [3].  Ces différentes accusations de corruption ont également participé à la chute de popularité du président Yudhoyono.

La corruption : un obstacle à l’essor d’une économie indonésienne pourtant prometteuse

L’économie de l’Indonésie n’a aujourd’hui rien à envier aux grandes puissances émergentes (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) (fp1) en matière de progression, et le gouvernement travaille encore et toujours pour faciliter les investissements étrangers en simplifiant ses procédures et en ouvrant son territoire et ses secteurs florissants à qui souhaite parier sur leurs succès à venir. En 2010, ces « investissements venus d’ailleurs » ont atteint un montant sans précédent de 208,5 milliards (fp2) de dollars [4].

Mais malgré ces indéniables performances, le développement économique de l’Indonésie reste entravé par des pratiques perverties qui repoussent les investisseurs étrangers, bien au fait des problèmes de gouvernance qui persistent et d’une politique anti-corruption qui perd en assiduité et en crédibilité depuis la réélection en 2004 du président Yudhoyono [5]. Ces pratiques s’appliquent principalement via la réglementation (licences et redevances) imposée par les fonctionnaires des administrations locales. Pendant de nombreuses années, les collectivités, villes et villages n’ont pas eu accès à suffisamment de fonds pour proposer des salaires décents aux fonctionnaires ou développer des services publics à hauteur de la demande. Les taux d’impôts locaux étaient plafonnés, et les pots de vin étaient essentiels au fonctionnement de l’économie locale et au développement des régions [4]. Plusieurs secteurs de l’économie indonésienne, et notamment celui du bâtiment, sont par conséquent gangrenés par la corruption. La corruption est un tel problème dans l’industrie qu’un décret présidentiel a été adopté en 2003 pour normaliser l’approvisionnement en biens et services par les gouvernements centraux et régionaux. L’Indonésie aurait ainsi perdu environ 194 millions de dollars américains dans divers actes de corruption entre janvier et avril 2011, a indiqué le journal The Jakarta Post, citant le procureur général indonésien, Hendarman Supandji [6].

La naissance d’une opposition populaire anti-corruption

On assiste cependant en Indonésie à l’éclosion d’un mouvement populaire bien décidé à lutter contre l’accroissement des faits de corruption dans le pays. Des milliers de personnes, dont de nombreux étudiants, se sont ainsi rassemblés à travers le pays le 9 décembre 2009 pour inciter le gouvernement à éliminer la corruption généralisée chez les hommes politiques, les policiers et d’autres fonctionnaires et à poursuivre réellement les administrateurs qui ont nuit au développement du pays et à sa population [7].

Cette mobilisation de la société civile contre la corruption s’organise principalement autour de responsables religieux et d’intellectuels musulmans (comme Ahmad Syafi’i Maarif), de groupes étudiants mais aussi d’internet. Un site internet indonésien, a ainsi attiré, une semaine après son lancement, près de deux millions de visites, en publiant les noms des personnes condamnées pour corruption dans le pays [8].

Émeute anti-corruption à Makassar en Indonésie – décembre 2009

Émeute anti-corruption à Makassar en Indonésie – décembre 2009

 

[1] Partnership for Governance Reform in Indonesia. 2009. The Partnership Annual Report 2009. http://www.kemitraan.or.id/main/publication_detail/47/52/6 (page consultée le 5    décembre)

[2] Honorine, Solenn. 2011. La corruption en Indonésie, les élites contre le peuple. En ligne.         http://www.rfi.fr/emission/20110413-corruption-indonesie-elites-contre-le-peuple (page          consultée le 6 décembre)

[3] Étienne, Jules. 2012. Le parti du président indonésien en lambeaux. En ligne.http://asie-           info.fr/2012/04/21/le-parti-du-president-indonesien-en-lambeaux-52721.html (page    consultée le 6 décembre)

[4] Dermawan, Ahmad et al. 2011. Preventing the risk of corruption in REDD + in Indonesia. En             ligne.http://www.unodc.org/documents/eastasiaandpacific/indonesia/publication/Preventi   ng_the_risk_of_corruption_in_REDD_in_Indonesia.pdf (page consultée le 6 décembre)

[5] Banque Mondiale. 2004. L’Indonésie s’attaque à la corruption. En ligne.           http://go.worldbank.org/FFIJ9NVU80 (page consultée le 6 décembre)

[6] The Jakarta Post. 2012. RI loses trillions in taxes from systemic corruption. En ligne.    http://www.thejakartapost.com/news/2012/03/14/ri-loses-trillions-taxes-systemic-         corruption.html (page consultée le 5 décembre)

[7] Espace européen de liberté, de sécurité et de justice. 2009. Coopération judiciaire pénale :      Lutte contre la corruption. En ligne http://eu-logos.org/eu-logos_nea-       say.php?idr=4&&nea=72&lang=fra&arch=0&idnl=1331(page consultée le 5 décembre)

[8]The Wall Street Journal. 2012. New Indonesian Website Names and Shames Corrupt Officials. http://blogs.wsj.com/corruption-currents/2012/07/02/new-indonesian-website-names-and-     shames-corrupt-officials/?mod=WSJBlog (page consultée le 6 décembre)

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