L’influence du parti communiste vietnamien sur la corruption dans le pays

Par Antoine de Blauwe

 

Le 7 septembre 2012, la Cour du peuple d’Ho Chi Minh, a condamné le journaliste du quotidien vietnamien Tuoi TreHoang Khuong, de son vrai nom Nguyen Van Khuong, à une peine de 4 ans de prison pour « corruption » de policiers et « propagande contre l’État » [1]. Le journaliste, célèbre au Vietnam pour ses articles sur des affaires de corruption impliquant les forces de l’ordre du pays, avait été arrêté et placé en détention provisoire en janvier 2012, après avoir publié des articles dans lesquels il révélait des pratiques illégales (pots de vin, chantages) au sein de la police routière [2]. À leur parution, ces articles avaient suscité une vive réaction du public. Le 24 septembre de la même année, le tribunal populaire d’Ho Chi Minh Ville a cette fois ci condamné une blogueuse vietnamienne, Ta Phong Tan,  à 10 ans de prison après que celle-ci ait révélé dans certains de ses billets l’ampleur de la corruption  dans les institutions du pays [3].

Ces verdicts particulièrement sévères sont symptomatiques du « crispement » des autorités vietnamiennes face aux nombreux scandales de corruption dans le pays [1].

La corruption au Vietnam : un phénomène généralisé

Le Vietnam se place à la 123ème place (sur 188 pays) dans le classement de la corruption établi par Transparency International en 2012. Il est l’un des pays les plus corrompus d’Asie du Sud Est après l’Indonésie et le Cambodge.

La corruption au Vietnam affecte différents secteurs tels que la santé, l’administration publique, l’éducation, la construction, la gestion et la répartition des terres ainsi que les ressources naturelles et les industries extractives [4]. Selon un rapport publié en janvier 2010 à Hanoï, la corruption « généralisée » dans le secteur foncier au Vietnam serait d’ailleurs une source d’instabilité sociale dans un pays où les questions liées à la terre sont responsables de nombreux conflits parfois très violents [5]. Dans ce pays communiste, la terre appartient effectivement à l’État, mais les particuliers et les entreprises peuvent acheter, puis échanger ou vendre un certificat d’utilisation des terres, dont la délivrance par les autorités est l’une des principales sources de corruption dans le pays [5]. L’administration publique n’est également pas épargnée par ce fléau ; Un membre de l’inspection du Parti Communiste (fp1) vietnamien a ainsi déclaré que les candidats à la fonction publique devaient débourser plus de 4500 USD (fp2) en frais cachés avant de pouvoir se présenter aux examens d’entrée [4].

Le secteur privé est également affecté par la corruption. La législation économique lourde et contraignante en place au Vietnam fournit à la fois les incitations et les opportunités de corruption. Selon une enquête commandée par la Banque mondiale et les ambassades de Suède et du Danemark,  40 % des entreprises au Vietnam ont reconnu avoir effectué des dépenses «non officielles» (ou  « pots de vin ») au cours de la dernière année, la plupart du temps dans le but d’accélérer certaines procédures administratives (notamment l’obtention de certificats) [6].

La plupart des institutions et secteurs clés du Vietnam sont ainsi gangrenés par la corruption. Une étude particulièrement intéressante menée par Transparency International en 2010 auprès des citoyens vietnamiens a révélé que la police était perçue comme étant le secteur le plus touché par la corruption (score 3,8 sur une échelle de 1 à 5), suivi par l’éducation (3,3), l’administration publique (3), le pouvoir judiciaire (2,8) et le secteur des entreprises (score 2,6) [7]. Devant l’ampleur de la corruption dans le pays et face aux critiques de plus en plus fortes émanant d’une partie de la société civile (particulièrement des médias), le Parti Communiste vietnamien s’est lancé dans une chasse ouverte à la corruption afin de redonner un peu de transparence à la gestion des institutions de l’État et de redonner confiance au marché [5].

Le rôle ambigu du Parti Communiste vietnamien dans la lutte anticorruption

Le Parti Communiste vietnamien (PCV) est encore aujourd’hui le seul parti autorisé au Vietnam. Depuis quelques années, le Parti s’est officiellement engagé à lutter de manière active contre la corruption dans le pays [5]. Depuis 2001, environ 40 000 membres du Parti unique, dont 12 membres du comité central (issu des congrès du Parti communiste vietnamien), ont dû répondre d’affaires de corruption. En mai 2004, le ministre de l’Agriculture Le Huy Ngo fut d’ailleurs condamné à ce titre ; d’autres suivront en 2006, dont le ministre des Transports [5].

Le Parti Communiste vietnamien (fp3)  monopolise tous les pouvoirs au Vietnam. C’est donc lui qui nomme les différents membres de l’agence anticorruption vietnamienne. Cette dernière est chargée d’inspecter les activités anti- corruption dans les ministères et les localités, ainsi que de recueillir des informations sur des cas de corruption [4].

Cette « monopolisation » du pouvoir politique et économique par le PCV peut cependant se révéler être un obstacle à la lutte anti-corruption ; les différents comités d’inspections chargés d’éradiquer le phénomène ne peuvent effectivement pas travailler de façon indépendante et leurs agissements sont soumis à un contrôle strict du Parti [4]; Le manque d’autonomie et de liberté de ces organismes, conséquence de leur caractère politisé, réduit ainsi considérablement la portée et l’efficacité  de leurs actions [4].

Un scandale illustre bien le rôle parfois flou du PCV dans la lutte anticorruption : l’épisode PMU-18 de janvier 2006. Le Project Management Unit 18 est une section du ministère des Transports qui s’occupe de la construction d’infrastructures. Au début du mois de janvier 2006, le directeur exécutif de PMU 18, Bùi Tiến Dũng, ainsi que le vice-ministre des transports furent arrêtés pour avoir détourné d’importantes sommes d’argent. On découvrit que Bùi Tiến Dũng faisait chanter d’éminents membres de l’État juste avant de se faire arrêter. Au lieu de permettre à l’Assemblée nationale de destituer le ministre des Transports, c’est le PCV qui engagea une procédure à son encontre afin d’étouffer le scandale et de « limiter les dégâts » [5].

Ces derniers temps, la lutte contre la corruption au Vietnam a cependant connu des progrès. Communication et sensibilisation ont été menées à bien par le gouvernement et le PCV, et diverses mesures ont été appliquées afin d’améliorer la transparence des administrations publiques et d’accélérer la réforme administrative [8]. Le combat contre la corruption a donc enregistré des résultats positifs, mais la corruption elle-même n’a pas reculé et les dégâts sur l’économie et la société restent de taille [8]. Même si les études et les experts ont mis en évidence la volonté grandissante du gouvernement et du Parti Communiste vietnamien de s’engager  auprès des acteurs de la société civile dans la lutte anticorruption, les nouvelles arrestations de journalistes dénonçant le phénomène prouvent la complexité de la situation dans le pays [1].

Le journaliste vietnamien Nguyen Van Khuong, arrêté par la police vietnamienne le 2 janvier 2012

Le journaliste vietnamien Nguyen Van Khuong, arrêté par la police vietnamienne le 2 janvier 2012

[1] Reporters sans frontières. 2012. Un journaliste anti-corruption victime de ses              investigations. En ligne. http://fr.rsf.org/vietnam-un-journaliste-anti-corruption-          03-01- 2012,41619.html (page consultée le 13 décembre)

[2] L’Express. 2012. Vietnam: la détention d’un journaliste pour corruption fait                  scandale. En ligne. http://www.lexpress.fr/actualites/1/economie/vietnam-la-     detention-d-un-journaliste-pour-corruption-fait-scandale_1067915.html (page consultée le             15 décembre)

[3] Eimer, David. 2012. “Vietnamese anti-corruption bloggers jailed”. En ligne.             http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/asia/vietnam/9562479/Vietnamese-   anti-     corruption-bloggers-jailed.html . The Telegraph . (page consultée le 13 décembre)

[4] Anti-Corruption Ressource Center. 2012. Overview of corruption and anti-corruption in         Vietnam. En ligne. http://www.u4.no/publications/overview-of-corruption-and-                       anti-corruption-in-vietnam/ (page consultée le 14 décembre)

[5] The Partnership for Research in International Affairs and Development. 2012. Corruption      and anti-corruption in Vietnam. En ligne. http://www.priad.org/wp-      content/uploads/2012/07/Anti-Corruption-in-Vietnam2.pdf (page consultée le 15   décembre)

[6] Ambassade du Danemark et de la Suède au Vietnam et la Banque Mondiale. 2011.        Recognizing and reducing corruption risks in Land Management in Vietnam. En ligne.   http://www.business- anticorruption.com/fileadmin/user_upload/pdf/Recognizing_and_    Reducing_Corruption_Risks_in_Land-English.pdf (page consultée le 15 décembre)

[7] Transparency International. 2011. Forms and Effects of Corruption on the Education Sector    in Vietnam. En ligne. http://www.transparency.org/regional_pages/asia-    pacific/transparency_international_in_vietnam/publications/research_an d_surveys (page consultée le 14 décembre)

[8] Norad. 2011. Joint Evaluation of Support to Anti-Corruption Efforts Viet Nam Country             Report. En ligne.http://www.oecd.org/countries/tanzania/48912883.pdf (page consultée          le 15 décembre)

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