Évolution de la femme à l’intérieur de la diaspora chinoise de Singapour

Par Lisa Thuc Duyên Hua

Singapour, cité-État de 692,7 km2, 3,5 fois la taille de Washington, abrite une population de 4.452.732 habitants, dont 76,7 % est composé de Chinois[1]. Bien que cette île soit multiethnique, notre analyse dans ce billet portera uniquement sur la condition de la femme chinoise, son insertion socio-politico-économique depuis son immigration  jusqu’à récemment[2].

Fondé en 1819 par les Britanniques sous le statut de colonie commerciale, Singapour était alors peuplé par quelques centaines de Malais et quelques dizaines de planteurs et boutiquiers chinois.  Après 1870, une première immigration chinoise massive composée en majorité de travailleurs masculins eut lieu, à l’instigation des Britanniques désireux d’exploiter leurs ports, portant la population chinoise à 654 000 individus en 1909.  À cette époque, un premier mouvement en faveur de la scolarisation des fillettes se fit sous l’impulsion des réformistes Peranakan , descendants d’immigrants chinois qui se marièrent avec des femmes malaises[3].

De 1933 à 1938, 200.000 Cantonaises vinrent s’installer à Singapour, épousant les membres de cette société jusque là essentiellement masculine. Mariages qui les encrèrent définitivement à la région. Jusqu’en 1946, (sauf pour quelques initiatives véhiculées par les médias d’antan, afin de mettre fin aux pratiques des mariages arrangés, au concubinage ainsi qu’à la prostitution),  le cadre de vie des femmes chinoises restait guidé par les valeurs confucéennes centrées sur l’importance de la famille. Elles étaient et  restaient avant tout, des épouses et des mères.  Mis à part quelques exceptions de femmes aidant leurs époux dans les plantations de cachou ou de poivre, la grande majorité d’entre elles restaient au foyer, sans grande participation à la vie économique et politique de leur nation.

En 1965, avec l’indépendance, cette situation fut cependant quelque peu bousculée.  Le nouveau gouvernement réalisa qu’il avait besoin d’une plus grande main-d’œuvre pour assurer sa survie économique. Tablant sur ses exportations, entre autres l’exportation d’articles électroniques, pour devenir prospère, Singapour, à l’instar d’autres NPI (Nouveaux Pays Industrialisés) du Sud Est asiatique comme Hong Kong, la Corée du Sud et la Thaïlande, se tourna vers les femmes, main d’œuvre potentielle, les encourageant à participer à la croissance économique nationale en travaillant comme ouvrières dans ses usines d’électroniques[4]. De 18 % en 1957, la population active féminine passa à 32,2 % en 1974 (toutes ethnies confondues). Cette entrée massive des femmes dans la l’activité production était principalement liée à l’expansion de l’économie singapourienne jusque vers 1974[5].

Les femmes se retrouvaient dans des emplois dits féminins : institutrices, infirmières, dactylos, employées de maison, couturières et monteuses d’appareils électriques. Au plan de l’équité salariale, à l’exception des fonctionnaires, – où depuis 1962, à compétence égale, il n’y avait pas de différence de salaire entre les deux sexes-, il régnait une discrimination considérable à l’égard des femmes. En 1974, 60 % des femmes gagnaient mensuellement 200$ alors que les hommes, qui gagnaient le même salaire ne représentaient que 31 % de la population active. En fait, l’insertion de la femme chinoise dans les structures sociales et économiques était et est encore confrontée à plusieurs freins sociaux[6]. Conscient que les ressources humaines représentent leur principal capital économique, durant les trois dernières décennies, le gouvernement singapourien éleva le statut juridique des femmes en utilisant entre autres, le contrôle de la natalité afin que la population féminine puisse pleinement participer au marché du travail sans pour autant changer les statuts socioéconomiques des genres. Cependant, ceux-là mêmes qui avaient réussi à encourager la croissance économique, se préoccupèrent ensuite  des changements de structures sociales que cette féminisation massive de la main d’œuvre impliquait. Parallèlement, le gouvernement émit en conséquence des législations empêchant les femmes de progresser sur leur lieu de travail. À titre d’exemple, il ne fit jamais bâtir de crèches en nombre suffisant, si bien que les femmes se débattaient entre les charges au travail et leurs responsabilités de mères, créant des conflits avec leurs époux. Mises à part les femmes mariées qui cessèrent de travailler, beaucoup choisirent de demeurer célibataires ou de renoncer à des enfants.

Un autre frein social était celui des rôles stéréotypés de l’homme et de la femme dans la société chinoise. À titre d’exemple, la femme ne doit pas être supérieure à son époux en termes de salaire. Passive, elle doit venir en aide à son père, son époux, son frère.  L’absence de support aux femmes et des préjugés tenaces à leurs propos dans la culture d’entreprise chinoise constituent un autre frein important. Renonçant à poursuivre une carrière dans le cadre d’une entreprise, des femmes décidèrent donc de devenir femmes entrepreneures, propriétaires d’une ou deux petites compagnies occupant jusqu’à 50 employés. Entre 1989 et 1997 37 % des femmes devinrent entrepreneures dans le secteur de l’industrie, des ventes au détail et de la manufacture[7]. Si dans les dernières années, des institutions gouvernementales reconnaissaient les contributions des femmes entrepreneures au développement économique du pays, -depuis 1997, Singapour accorde un prix « Femme entrepreneure de l’année », les entrepreneures restent un filon inexploité. Au plan des grandes compagnies, les cadres féminins ayant pouvoir de décision sont largement sous-représentés. Leur salaire représente encore une fraction de celui de leurs collègues masculins. À l’ère de la haute technologie, le confucianisme mène encore la vie dure aux femmes de Singapour, État pourtant très occidentalisé. Ici, plus d’éducation chez les femmes ne signifie pas forcément égalité des sexes[8].

Bibliographie

Salomon, Claudine. 1980. «Etre femme à Singapour». Persée, Revues scientifiques 19(no19) : 161-168.

Margolin, Jean-Louis. 1989. «Singapour: 1959-1987 : genèse d‘un nouveau pays industriel» , Business & Economics – 315 pages

Pyle; Jean l. 1997.«Women, the Family, and Economic Restructuring: The Singapore Model?» Review of Social Economy, Vol. 55.

Cong, Liang. Shanghai 200093, China. «Does the Current Position of Women in the Labour Market in Asia …» International Journal of Business and Management 3, (No 6) : 118-122.

Jean Lee S.K., Kathleen Campbell, and Audrey Chia.1999.«The Three Paradoxes: Working Women in Singapore. » En ligne. www.postcolonialweb.org/singapore/…/3paradoxes.html ( page consultée le 9 décembre 2009)

Sandra L. Fielden, Marilyn Davidson .2006.  «International Handbook of Women and Small Business Entrepreneurship» En ligne . books.google.ca/books?isbn=1847 (page consultée le 9 décembre2009

Singapour : géographie, démographie, politique, économie, transport.2002 . En ligne. www.studentsoftheworld.info/. ( page consultée le 9décembre 2009)

 


[1] Singapour : géographie, démographie, politique, économie, transport.2002

[2] Margolin, Jean-Louis. 1989. «Singapour: 1959-1987 : genèse dun nouveau pays industriel»

[3] Salomon, Claudine. 1980. «Etre femme à Singapour».

[4] Pyle; Jean l. 1997.«Women, the Family, and Economic Restructuring: The Singapore Model?»

[5] Salomon, Claudine. 1980. «Etre femme à Singapour».

[6] Jean Lee S.K., Kathleen Campbell, and Audrey Chia.1999.«The Three Paradoxes: Working Women in Singapore. »

[7] Sandra L. Fielden, Marilyn Davidson .2006.  «International Handbook of Women and Small Business Entrepreneurship»

[8] Cong, Liang. Shanghai 200093, China. «Does the Current Position of Women in the Labour Market in Asia …»

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