Malaisie: Une coercition par la police et la loi

Par Jean-Baptiste Cubilier

La Malaisie se présente comme un pays où la force coercitive n’est plus l’armée. En effet, on constate à travers le cas malaisien une situation favorable à la police dans le rôle de maintien de l’ordre. Ici les militaires ne jouent pas un rôle politique comme en Indonésie, aux Philippines, en Birmanie ou en Thaïlande. C’est ce qui fait de la Malaisie un cas particulier. Ainsi, nous devons développer trois aspects importants caractérisant la structure politique de ce pays : le Barisan Nasional (la coalition des élites des différentes ethnies), la Police comme garantie du maintien de la sécurité nationale, et les conséquences sur la population qui ne sont autres que l’instauration d’une culture de la peur.

Un gouvernement « par la loi » et non « de la loi »

La militarisation malaisienne apparaît comme atypique puisque celle-ci  se place en second plan de ce que le gouvernement considère comme la sécurité nationale. En effet cet aspect de la Malaisie donnant une importance secondaire aux militaires s’explique à la fois par le rapprochement des élites des différentes ethnies du pays à travers la coalition du Barisan Nasional (BN), et du maintien d’un État fort sous les règles du BN. [1] La Malaisie étant un système politique parlementaire d’inspiration britannique, cette coalition qu’est le BN possède depuis toujours le monopole du contrôle du Parlement. L’émergence du communisme dans le pays, l’élément déclencheur, avait déjà fait réagir le gouvernement colonial britannique à travers l’interprétation d’un problème « de loi et d’ordre ». L’indépendance de la Malaisie s’est traduite par une adaptation, ou une sorte de conservation, des structures politiques coloniales. [2] L’idée était de préserver l’approche de sécurité nationale développée par les Britanniques jusqu’en 1957 (date de l’indépendance). Ainsi, l’émergence officielle du communisme en 1960 a conduit à l’adoption la même année de l’Acte de Sécurité Interne (ASI) (Article 149). Cette loi, allant parfois contre les droits de l’Homme, permet au gouvernement d’accuser et d’arrêter quiconque menacerait la sécurité nationale. C’est ainsi que l’ASI prend une forme coercitive aux yeux de la population, pouvant à tout instant arrêter quelqu’un par simple accusation afin de préserver la sécurité nationale.

La police comme messager du gouvernement

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Du temps de la présence britannique, le  Lieutenant Général Harold Briggs reçu de la part du gouvernement colonial pour principale compétence de coordonner les forces de police sur le territoire. Selon lui, la présence communiste était un problème de « loi et d’ordre », et se devait d’être résolu par une augmentation tant des effectifs que des compétences des forces de police. La priorité absolue était la sécurité nationale, d’où l’importance que cet homme accordait aux compétences de la police. Ceci est l’un des nombreux points que la Malaisie a conservé de sa période coloniale. Ainsi, encore aujourd’hui la police malaisienne a pour objectifs de : « maintenir la loi et l’ordre, de préserver la paix et la sécurité, de prévenir et détecter le crime, d’appréhender les offenseurs de la loi, et de collecter les informations reliée à la sécurité » [2], apparaissant donc comme le représentant de l’ISA. Ses multiples compétences conduisent régulièrement à l’abus de pouvoir. On peut voir sur certaines vidéos de You tube à quel point la police malaisienne peut être brutale avec sa population. Aussi, une conséquence importante sur la population apparaît, celle-ci subissant la coercition de la législation et de son porte-parole qu’est la police.

Maintien d’une culture de la peur

En effet une « culture de la peur » s’instaure alors dans la pensée collective, résultat de la puissance coercitive de l’Article 149. La population sait que les forces de police vont aller dans le cadre de leurs compétences parfois à l’encontre des droits de l’Homme, et ce, afin d’assurer la sécurité nationale. Et si la police ne suffisait pas, il faut à cela rajouter les restrictions que subit la population en général avec la législation. Chacune des libertés fondamentales peut être « suspendue », ou « mise de côté », afin d’appliquer en priorité cette législation assurant la sécurité nationale. Ces deux forces que nous avons décrites auparavant expliquent comment la population malaisienne voit ses droits et libertés oubliés. Les Malaisiens prennent alors conscience du fait que toute opposition à ce système revient à se condamner soi-même.

Le cas malaisien se différencie de pays comme l’Indonésie, la Thaïlande, ou les Philippines, car la coercition est exercée ici par la législation et la police. En effet, si on reprend ce qui a été dit juste avant, l’ISA va permettre d’assurer la sécurité nationale grâce à un gouvernement « par la loi » et non « de la loi ». La police, moyen d’action matériel, va servir de vecteur à la législation, du gouvernement à la population. En fait, si on regarde bien, on voit que le véritable « ciment » permettant la continuité de ce système est le Barisan Nasional. Sans le maintien du regroupement des différentes élites ethniques, la population malaisienne aurait connu autre chose que la coercition du gouvernement. Le problème aujourd’hui est là : bien que des réformes aient été faites sur les compétences de la police (il lui est beaucoup plus difficile aujourd’hui d’aller au-delà de ses compétences qu’autrefois), si un changement doit apparaître, c’est bien au niveau du BN. Depuis l’indépendance de la Malaisie en 1957, le monopole politique au Parlement revient au BN, mais une nouvelle vague d’élites plus réformistes ne semble pas s’établir. Le passé semble se répéter aujourd’hui notamment depuis septembre 2001 avec une nouvelle menace à l’interne qu’est le terrorisme, remplaçant alors l’ancienne lutte contre le communisme [3], ce qui ne va sûrement pas être un contexte favorable au changement. En somme, la sécurité nationale sera maintenue, mais au détriment de la population comme c’est le cas depuis plus de 50 ans.

Références

1.  Beaulieu, Isabelle. 2005. État rentier, Gouvernance et Développement : Le Cas De La Malaysia. Thèse de doctorat. Département de science politique. Université de Montréal. En ligne. http://www.cccg.umontreal.ca/pdf/working%20papers/working%20paper_06-03_IB.pdf (consulté le 18 Novembre 2009).

2. Loh, Francis K.W. « Malaysia : National Security, the Police and the Rule of Law : Militarisation by Other Means ». dans Militarising State, Society and Culture in Asia, Asian Exchange Vol.20 no.2 and Vol.21, No.1 (2005) : pp. 179-208.

3. Henderson, John W., Helen A. Barth, Judith M. Heimann, Philip W. Moeller, Francisco S. Soriano, John O. Weaver, dir. 1970. Area Handbook for Malaysia. Washington: Library of Congress.

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