L’incident Kokang

Par Mercedes Lussier-Trépanier

La junte militaire birmane est au pouvoir depuis le coup d’État de 1988, les dernières élections législatives remontent à 1990 alors que les résultats ont été ignorés par le régime militaire et le seul référendum depuis qu’ils sont au pouvoir date de 2008, donc au plan démocratique la Birmanie n’est pas au premier plan mondial. Sur le plan des droits humains aussi, la Birmanie ne se retrouve pas au sommet des pays qui respectent leur peuple, surtout envers les opposants à son régime. La communauté internationale connaît bien la situation d’Aung San Suu Kyi  qui est détenue en résidence surveillée depuis 1990 et a une interdiction de participer à la politique de son pays. D’autres sont touchés par cet autoritarisme, par exemple, les minorités ethniques qui ne collaborent pas avec le régime et qui sont constamment réprimées. Ce qui est problématique est que la Birmanie regroupe plus de 130 minorités ethniques, qui n’ont pour la plupart aucun sentiment d’appartenance nationale[1]. Malheureusement pour elles, quelques-unes s’affichent ouvertement contre le régime au pouvoir et étant donné qu’elles nuisent énormément à la légitimité de celui-ci, donc elles sont constamment opprimées.

L’ethnie dont nous avons beaucoup entendu parler en août dernier sont les sino-birmans. Des affrontements violents ont éclaté dans la région autonome spéciale de Kokang située dans l’État de Shan au centre est du pays. Les affrontements militarisés se sont déclenchés entre l’armée nationale et l’Armée de l’alliance démocratique nationale birmane (AADNB), lors d’un raid (de la junte) sur une usine d’armes militaires illicites qui fournissait l’AADNB (l’armée non gouvernementale de la région autonome spéciale Kokang). C’est ainsi qu’avec ce raid, la junte met fin à un cessez-le-feu qui était établi entre les deux groupes militaires depuis 1989. Par la suite, la junte fit déployer ses militaires dans la région en pourchassant les hommes de l’AANDB, qui sont des opposants au régime autoritaire, en ravageant tout sur leur passage. Le raid sur l’usine n’était qu’un prétexte pour attaquer l’ethnie sino-birmane que sont les Kokangs. Cette haine envers les sino-birmans provient du fait que les Kokangs sont établies depuis la deuxième moitié du 17e siècle dans la province de Yunnan et ont un contrôle géopolitique total de leur territoire. Les Kokangs n’ont jamais vraiment coopéré avec l’autorité centrale, autant à l’époque coloniale que contemporaine. Ainsi, lors de l’attaque d’août dernier, ayant leur propre armée, les Kokangs ont pu se défendre militairement, mais seulement pour une courte durée. La population fut pillée, des femmes et des enfants massacrés, des hommes abattus en public, donc la population n’avait qu’un seul choix : fuir. La problématique se retrouve dans le fait qu’ils ont été plus de 30 000 personnes, principalement d’origine chinoise, à quitter le pays. Les Kokang ont été poussés à se réfugier en Chine dans la province de Yunnan pour assurer leur sécurité. La discrimination des Birmans de descendance chinoise est flagrante dans ce conflit, car « quand les Birmans voyaient que vous étiez Chinois, ils vous attaquaient »[2] témoigne Yao Fu un médecin de 46 ans établi au Kokans depuis dix ans. Finalement le 30 août, les 700 rebelles Kokangs se sont rendus après une prise de conscience de leur impuissance face à l’armée nationale très puissante.

Malgré le retour craintif des sino-birmans dans la région, la tension règne dans l’air et un climat d’incertitude est présent. Les affrontements peuvent resurgir à tout moment car les militaires sont toujours sur place et la population de la région autonome spéciale Kokang vit le deuil de la trentaine de victimes qu’a engendrées le conflit. En analysant bien ce conflit géopolitique, on comprend que l’intervention militaire de l’armée birmane dans la zone indépendante Kokang n’est en réalité qu’un prétexte pour assurer la réélection de la junte au pouvoir. Dans la constitution de la Birmanie, on retrouve dans le chapitre VII à la clause 338, que « all armed forces in the union shall be under the command of the defense services » [3]. Ainsi, pour ne pas déclencher un débat constitutionnel dans la région séparatiste Kokang, le gouvernement a pris la décision d’intervenir militairement pour faire taire la menace.

En bref, les Kokangs représentent une menace importante pour la junte lors des élections de 2010, reste à savoir si l’intervention militaire d’août les auront effrayés où vont-ils  maintenir leurs convictions et faire opposition au gouvernement lors des scrutins?

Bibliographie

Birmanie : l’armée s’en prend à une minorité ethnique : des morts, des réfigiés. En ligne : http://www.lesvoiesdelaliberte.be/dernieres-nouvelles/la-birmanie-s-en-prend-a-une.html (page consultée le 22 novembre 2009)

EBO analysis. 2009. The Kokang Clashes- What next?.En ligne: http://euro-burma.eu/doc/EBO_Analysis_No_1_(Kokang).pdf (page consultée le 24 novembre 2009)

Linter, Bertil. 1994. Burma in Revolt : Opium and Insurgency Since 1948. Colorado: Westview Press.


[1] Linter, Bertil. Burma in Revolt : Opium and Insurgency Since 1948.

[2] http://www.lesvoiesdelaliberte.be/dernieres-nouvelles/la-birmanie-s-en-prend-a-une.html

[3] http://euro-burma.eu/doc/EBO_Analysis_No_1_(Kokang).pdf

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