Singapour, là où autoritarisme et prospérité économique vont de paire

Par Xavier Faraire

La principauté de Singapour est véritablement un phénomène de l’Asie du Sud-est. Cette cité-État de 4,4 millions d’habitants est un modèle, voire un cliché, de réussite capitaliste[1]. La cité est ultra moderne, propre et dotée d’un système de transport en commun très efficace. Le secteur tertiaire y est de loin le plus dominant. Les grandes multinationales et financières y affichent leur présence avec les multiples gratte-ciels qui parsèment la ville. L’État est un leader dans la très prospère industrie des biotechnologies[2]. Sa croissance économique est toujours une des plus élevées au monde et le niveau de vie de ses habitants est parmi les meilleurs. Cependant, contrairement à la grande majorité des nations capitalistes occidentales auxquelles elle pourrait se comparer, Singapour est menée par un régime qui se rapproche davantage de l’autoritarisme que de la sainte démocratie, garante de la prospérité économique pour certains. Dans ce 3e billet, nous allons examiner les facteurs qui expliquent comment le même parti arrive à se maintenir au pouvoir depuis plus de 40 ans.

Depuis 1959, soit 6 ans avant l’indépendance de la cité en 1965, le People’s Action Party a remporté chacune des élections législatives jusqu’à ce jour, soit par une écrasante majorité ou en mettant la main sur la totalité des sièges[3]. Pourtant les élections ne sont jamais truquées. Comment expliquer cela? Tout d’abord, le PAP fait en sorte de fortement décourager l’opposition. Et attention, on parle ici d’une répression très subtile qui n’a rien à voir avec la répression violente ou les arrestations arbitraires qui sévissent en Birmanie par exemple. Pour commencer, toute personne qui parle en publique contre le gouvernement est forcé de se déclarer membre de l’opposition. Or, les membres de l’opposition sont étroitement surveillés dans tous leurs faits et gestes, spécialement lorsqu’ils prennent la parole en public. Les personnes qui ont trop de choses à dire contre le parti et ses membres finissent par être poursuivies en justice au civil pour diffamation et se voient dans l’obligation de payer des sommes considérables[4]. De quoi décourager une population dont les valeurs fondamentales sont basées sur le portefeuille. Le PAP a aussi d’autres façons d’utiliser le système pour s’avantager. Le système politique de Singapour est inspiré du système parlementaire britannique. Le parti au pouvoir est donc celui qui a fait élire le plus de députés, chacun de ceux-ci étant élus dans une circonscription. Le PAP récolte en moyenne 60% des votes à chaque élection. Pour assurer son hégémonie au parlement, le parti a cependant prit soin de bien découper la carte électorale de façon à mener dans chacune des circonscriptions[5]. Le PAP joue ainsi le tour de la carte électorale.

Il n’y a pas que les opposants qui sont visés par cette forme assez particulière de censure. Les médias le sont également, et de la même façon. Les différents journaux, locaux ou internationaux, de grande renommée ou pas, sont poursuivis en justice pour diffamation s’ils font des allégations contre le gouvernement. Les montants versés au gouvernement au terme de ces poursuites, par règlement hors-cours ou par jugement, sont faramineux. Les journalistes se le tiennent pour dit et les médias préfèrent opter pour l’autocensure[6].

Le troisième point porte sur les politiques économiques de l’État. Suite à son indépendance, l’État a choisi d’inviter les multinationales à venir investir massivement à Singapour, contrairement beaucoup d’autres pays du Tiers-monde qui, à la même époque, cherchaient plutôt à protéger leurs entreprises locales. Le gouvernement a fait beaucoup pour favoriser les investissements étrangers et le développement économique. Un de ces moyens a été de regrouper tous les syndicats en une seule entité, le National Trade Union Congress (NTUC). Cet organisme, normalement chargé de représenter les travailleurs, est davantage porté sur la coopération avec l’État pour assurer la prospérité économique de la cité. Ajoutez à cela une interdiction de faire la grève, il devient difficile pour un travailleur de contester la politique économique de l’État[7].

Finalement, la dernière raison qui fait en sorte que le PAP se maintient au pouvoir depuis si longtemps, c’est tout simplement parce que la formule fonctionne. Le citoyen moyen y voit beaucoup de bénéfices. Le PIB par habitant est de 32 867$. Il est plus élevé que ceux de la France et de l’Allemagne[8]. La société singapourienne est devenue ultra matérialiste, une véritable société de consommation ou tout le monde veut prospérer, avoir sa voiture, son cellulaire, des vêtements de grandes marques, une belle maison, etc. Les Singapouriens, contrairement aux Québécois, sont de grands épargnants[9]. La gestion de l’économie par le PAP leur a permis d’atteindre ce niveau de vie alors pourquoi vouloir changer ce qui fonctionne?

Singapour est un État très particulier. Cette cité-État est à la fois un modèle de prospérité économique et de transparence et un mauvais élève en termes de démocratie et de liberté d’expression. On dit souvent, en occident, que démocratie et prospérité économique vont de paire. Il faut croire que cette règle ne s’applique pas partout.

Bibliographie

Badie, Bertrand, Sandrine Tolotti, dir. 2007.  L’État du monde 2008. Montréal : Boréal. 430p.

De Koninck, Rodolphe. 2006. Singapour, la cité-État ambitieuse. Paris : Belin. 176p.

Pereira, Alexius A. 2007.  «Wither the developmental State? Explaining Singapore continued developmentalism». Third World Quarterly. Vol 28, no 6. P.1189-1213.


[1]2007.  L’État du monde 2008. Montréal : Boréal. P.382

[2] Pereira, Alexius A. 2007.  «Wither the developmental State? Explaining Singapore continued developmentalism». Third World Quarterly. Vol 28, no 6. P.1189-1213.

[3] De Koninck, Rodolphe. 2006. Singapour, la cité-État ambitieuse. Paris : Belin. P. 149

[4] Ibid. p 150

[5] Ibidem

[6] Ibidem p. 151

[7] Pereira, Alexius A. 2007.  «Wither the developmental State? Explaining Singapore continued developmentalism». Third World Quarterly. Vol 28, no 6. P.1189-1213.

[8] 2007.  L’État du monde 2008. Montréal : Boréal. P.382

[9] De Koninck, Rodolphe. 2006. Singapour, la cité-État ambitieuse. Paris : Belin. P. 160

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