Thaïlande: Une armée assurant la stabilité politique

Par Jean-Baptiste Cubilier

L’armée thaïlandaise n’est ni un outil comme aux Philippines, garantissant les intérêts du gouvernement, ni un acteur participant au mécanisme du politique comme en Indonésie, et encore moins un acteur s’appropriant le pouvoir comme en Birmanie. Ici, les militaires sont la garantie d’un minimum de stabilité, ayant pour objectif depuis 1957 de s’assurer de la longévité du système politique.  En effet, les militaires se retrouvent ici au pouvoir, mais contrairement à la junte birmane présente depuis 1962, l’armée thaïlandaise se trouve au pouvoir à de nombreuses reprises, mais toujours de manière temporaire, afin d’assurer la stabilité politique du pays. C’est ce que nous allons étudier ici, avec dans un premier temps la période de 1957 à 1972, soit de l’arrivée du Général Sarit au pouvoir aux manifestations étudiantes contre la nouvelle Constitution, pour ensuite nous concentrer sur le retour puis l’effacement des militaires de 1973 jusqu’à 1991. Enfin, les deux dernières décennies sont importantes pour leur rôle d’assurance de stabilité dans une agitation politique de plus en plus intense. Si ces trois périodes attirent notre attention, c’est bien à cause du rôle des militaires dans cette agitation politique croissante qui caractérise la Thaïlande.

Le Général Sarit Thanarat arrivera au pouvoir en 1957 suite aux troubles de 1952 à 1957 (oppositions entre l’armée et la police) auxquels faisait face son prédécesseur Phibul Songkram quant au maintien d’un régime extrêmement répressif. [1]Basé sur la loi martiale, le régime dictatorial de Sarit va reposer essentiellement sur l’armée. Mais il faut savoir que malgré cela, il demeurait populaire grâce à une certaine tolérance caractérisant cette autorité. De plus, un autre aspect de la popularité de Sarit, est que ce dernier a contribué au développement économique du pays et à sa stabilité politique. À sa mort en décembre 1963, le maréchal Thanom Kittikachorn prendra sa place. En plus de libéraliser la Thaïlande, ce dernier mettra en place une Constitution prévoyant l’élection d’une Assemblée. Le seul problème est que celle-ci va très vite s’opposer à Thanom Kittikachorn, conduisant au démantèlement de l’Assemblée et au retour du régime autoritaire. Il faut voir ici que l’essai de démocratisation du régime étant un échec, cela va conduire à un retour en arrière. [2] Un an après cet échec de démocratisation, la Constitution de 1972 est mise en place. Selon celle-ci, plus personne n’est élu mais nommé. Tel fut le cas des membres de cette nouvelle Assemblée. Le gouvernement quant à lui continue de reposer sur les militaires et s’appuie encore sur l’armée afin d’assurer une certaine stabilité politique.

Il faudra attendre les manifestations d’étudiants de 1973 pour se débarrasser de cette Constitution et connaître une période de transition de trois ans avec un régime civil éphémère. Suite à ce court intervalle, les militaires reviennent au pouvoir avec l’aide du roi. [3] 1978 apparaît comme l’année du grand retour des militaires au pouvoir avec la promulgation d’une nouvelle Constitution. Celle-ci prévoit un système à deux chambres constituant l’Assemblée Nationale, soit le Sénat contrôlé par les militaires et la Chambre des Représentants où seraient présents les civils. Les élections de 1979 ont donné une majorité des voix aux partis de Gauche. Mais la stabilité politique ne semble pas être une habitude thaïlandaise puisque l’augmentation des prix des différentes sources d’énergies (pétrole, électricité, etc.), a conduit à des manifestations semblables à celles de 1973, et s’est terminée en mars 1980 par la démission du Premier Ministre Kriangsak, et à l’arrivée de son remplaçant le Général Prem Tinsulanonda. Ce dernier va promouvoir la stabilité des institutions démocratiques en partenariat avec le roi, et finira même, étape la plus dure, par « démilitariser » la structure politique du pays en 1983. Les militaires rendent alors une grande partie de leur pouvoir politique à la sphère civile. Cet effort sera récompensé puisque Prem sera réélu en 1986.

Gen-Prem-Tinsulanonda

Photo1 http://www.generalprem.com/Gen-Prem-Tinsulanonda.jpg

Alors comment se fait-il que les militaires soient revenus encore une fois au pouvoir? Le processus de démocratisation semblait bien fonctionner depuis l’arrivée de Prem. Le coup d’État militaire de 1991 est le 17ème depuis 1932. Les 19 individus ayant occupé le poste de Premier Ministre de ce coup d’État à aujourd’hui prouvent que l’instabilité politique est à la base une tradition. On assiste ici à une véritable incapacité à calmer cette dynamique de « précarité politique ». L’effacement des militaires de la sphère politique par le Général Prem Tinsulanonda semble avoir cessé depuis 1991. Cependant il ne faut pas croire que les militaires ont conservé le pouvoir comme la junte birmane. Ils ne l’ont fait qu’en 1991-1992 et du mois de septembre à octobre 2006. Et à chaque fois, suite à leur coup d’État, les militaires organisent des élections. Aussi leur intervention pro-démocratique est toujours effectué avec le moins de tensions possibles comme on le voit sur cette vidéo de You tube.  Ils restent les principaux acteurs d’une recherche de stabilité. À chaque fois, que ce soit la corruption ou la non efficacité des actions proposées par les personnes au pouvoir, la réaction de la population conduisant à l’instabilité démontre la nécessité de la présence militaire. Cet élément solide a toujours assuré le peu de stabilité qu’a connu ce pays au cours de son histoire.

Les militaires ont donc toujours été présents dans le processus de démocratisation de la Thaïlande, que ce soit de 1957 à 1972 avec les militaires Sarit et Thanom au pouvoir se servant de l’armée contre toute agitation politique pouvant nuire à un système essayant de se démocratiser. De 1972 jusqu’au début des années 90 avec cette volonté d’abord de remplacer un régime civil éphémère, puis après avec Prem essayant au fur et à mesure de retirer les militaires de la sphère politique au profit des civils. Enfin, les coups d’État des militaires pro-démocratiques comme ceux de 1991 et 2006 retracent une réaction face à la non efficacité des civils au pouvoir, comme si leur arrivée pouvait faire en sorte de repartir à zéro. On constate donc que l’armée reste dans cette instabilité politique le principal « barrage » séparant la situation thaïlandaise du chaos.

Références

[1] Fistié, Pierre. 1963. La Thaïlande. Paris: Presses Universitaires de France

[2] Sonneville, Bernard et Achille Clarac. 1975. Thaïlande. Paris: Éditions Delroisse.

[3] États-Unis d’Amérique. Le Congrès. 1987. Thailand. A country study. Washington: Le Congrès.

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