La présence des vietnamiennes dans l’industrie cambodgienne de la prostitution

Par Marie-Soleil Verville Allard

 

« Sandler indicated that he used Vietnamese women on his “Rape Camp” Web site instead of Khmer women, because it was more permissible to exploit Vietnamese women »[i]

 

Cette phrase, extraite d’un rapport sur l’exploitation sexuelle au Cambodge, représente bien la situation particulière des femmes vietnamiennes dans ce pays. Beaucoup d’observateurs voient en effet une très grande participation de Vietnamiennes à l’industrie du sexe cambodgienne. En effet, le tiers[ii] des femmes et des jeunes filles qui font partie de ce milieu sont d’origine vietnamienne. Pourquoi y a-t-il une si grande présence de femmes provenant du Vietnam qui pratiquent le métier de prostituée au Cambodge? D’une part, le sentiment antivietnamien historique au Cambodge favoriserait l’utilisation de ces femmes dans une telle industrie. D’autre part, la réputation des femmes vietnamiennes les rendrait plus désirables par les clients de cette industrie au Cambodge. Finalement, les méthodes coercitives contre la prostitution seraient moins importantes au Cambodge qu’au Vietnam, favorisant ainsi une immigration des travailleuses du sexe vers le pays des Khmers.

La première raison de la forte concentration des femmes vietnamienne dans l’industrie de la prostitution au Cambodge est historique. Elle date d’une relation difficile entre Cambodgiens et Vietnamiens, influencée par le parcours politique du pays des Khmers. Premièrement, durant l’occupation entre 1835 et 1840, l’envahisseur met en place des politiques de « vietnamisation »[iii] de la population khmer, et encourage une grande immigration vietnamienne au Cambodge. Deuxièmement, après le coup d’État de Lon Nol en 1970, le nouveau gouvernement commença à exercer une forte répression contre les Vietnamiens, conséquence du sentiment antivietnamien qui grandissait au sein de la population cambodgienne depuis l’occupation de 1835-1840.  Le ressentiment de Lon Nol envers les vietnamiens ainsi que son anticommunisme profond fut transmis à la population.  La troisième période où le sentiment antivietnamien grandit encore est celle de la répression par les Khmers rouges.  Le communisme étant associé aux Vietnamiens, ce sentiment fut exacerbé par l’arrivée du régime maoïste des Khmers rouges et la forte répression subie par les Cambodgiens dans cette période. Malgré le fait que les Vietnamiens ont aussi été réprimés durant cette période, le sentiment antivietnamien reste toujours présent, et profite d’une certaine manière à l’industrie du sexe au Cambodge. En effet, comme la phrase d’introduction le démontre si bien, l’exploitation des femmes vietnamiennes est bien mieux vue que celle des Cambodgiennes. Ainsi, plusieurs bordels ou proxénètes favoriseraient ainsi d’avoir des prostituées d’origine vietnamienne, s’exposant moins à la forte coercition de la part des autorités cambodgiennes. Les autorités, bien que la prostitution soit illégale au Cambodge, fermeraient plus facilement les yeux sur l’exploitation des Vietnamiennes que sur celle des Cambodgiennes, expliquant ainsi en partie la présence marquée de ces femmes dans l’industrie du sexe.

La deuxième raison qui explique la présence assez importante des femmes vietnamiennes dans la prostitution cambodgienne serait la préférence des clients pour l’apparence de ces femmes, ainsi que leur réputation. En effet, les clients semblent préférer les prostituées vietnamiennes à cause de leur peau de couleur plus pâle, mais aussi à cause de l’image qu’on a d’elles comme étant particulièrement douées sexuellement étant donné leur longue expérience dans la prostitution[iv]. Il semble en effet que la population cambodgienne associe la prostitution aux Vietnamiennes (alors qu’en fait elles ne représentent pas la majorité des prostituées au Cambodge). La demande pour ces femmes serait donc un autre facteur qui influencerait leur présence dans l’industrie du sexe au Cambodge[v].

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La dernière raison qui explique une affluence importante de Vietnamiennes dans l’industrie de la prostitution au Cambodge est la plus grande tolérance des autorités cambodgiennes face au problème. La prostitution, illégale dans les deux pays, est quand même plus acceptée et moins violemment punie au Cambodge qu’au Vietnam. Cela s’explique entre autres par l’ouverture économique du Cambodge depuis la tombée du régime des Khmers rouges. En effet, après que la prostitution ait été fortement réprimée dans les années communistes du Cambodge, l’industrie a repris de l’ampleur avec la venue de plus en plus d’hommes d’affaires, l’avènement de la mondialisation (caractérisée entre autres par l’augmentation du tourisme sexuel), etc.  Ainsi, beaucoup de femmes vietnamiennes qui désirent travailler dans l’industrie du sexe vont temporairement au Cambodge, amassent de l’argent (très souvent pour améliorer leurs conditions de vie familiale au Vietnam), puis retournent dans leur pays natal. Il est aussi rapporté que plusieurs d’entre elles, lorsqu’elles partent du Vietnam et y retournent, cachent leurs activités professionnelles au Cambodge, et n’ont pas de problème à se trouver un mari par la suite[vi]. Ainsi, en plus d’avoir gagné de l’argent pour leur famille, elles ont exercé le métier dans un climat moins répressif qu’au Vietnam, et retournent au pays avec leur « honneur » intact.

Une analyse du phénomène de la présence des femmes vietnamiennes dans l’industrie du sexe au Cambodge nous permet donc de déterminer que celles-ci y sont présentes pour plusieurs raisons. Tout d’abord, une relation historique difficile entre Khmers et Vietnamiens qui rend l’exploitation de ces femmes plus acceptables au Cambodge. Ensuite, une demande pour des prostituées ayant des traits comme celles des Vietnamiennes, et, finalement, une certaine attraction qu’a l’industrie cambodgienne sur les femmes vietnamiennes qui désirent travailler dans l’industrie du sexe. Pour contrer le phénomène de trafic des femmes à l’intérieur du Cambodge et pour répondre aux besoins de l’industrie du sexe, des projets de légalisation sont de plus en plus envisagés[vii]. Ces politiques pourraient aussi éventuellement mieux contrôler les conséquences négatives du phénomène de la prostitution comme la transmission des maladies sexuelles, la corruption politique et policière, etc.


[i]Donna M. Hughes, « “Welcome to the Rape Camp” Sexual Exploitation and the Internet in Cambodia», Journal of Sexual Aggression 6 (2000), p.5.

[ii] Ibid, p.5.

[iii]Annuska Derkrs, Trafficking of Vietnamese women and children to Cambodia, (Genève et Phnom Penh:  International Organization of Migration and Centre for Advanced Studies, 1998), p.13.

[iv] Ibid, p. 30.

[v] Ces femmes sont parfois trafiquées, un autre problème qui affecte l’industrie sexuelle au Cambodge, et qui est un phénomène commun aux autres pays de l’Asie du Sud-est.

[vi] Voir Annuska Derks, Trafficking of Vietnamese women and children to Cambodia, p. 32.

[vii] Voir Donna M. Hugues, “Welcome to the Rape Camp” Sexual Exploitation and the Internet in Cambodia, p.16.

Bibliographie

 

Hugues, Donna M., 2000, « “Welcome to the Rape Camp” Sexual Exploitation and the Internet in Cambodia», Journal of Sexual Aggression 6 (hiver).

Annuska Derkrs, mars 1998, Trafficking of Vietnamese women and children to

Cambodia,(Genève et Phnom Penh:  International Organization of Migration and Centre for Advanced Studies.

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