Des structures politiques pluralistes à la rescousse de l’intégration des sino-malaisiens?

Par Ève Lortie-Fournier

« La Constitution malaise considère que le terme ethnique Malais permet de créer une communauté plutôt homogène par une stratégie d’intégration par la langue, la religion et la culture » 1. Des structures politiques pluralistes sont favorables à l’intégration des ethnies, comme cette constitution pour les ethnies de la Malaisie. Dans ce pays, l’intégration de la diaspora chinoise est due à ces structures politiques pluralistes. L’influence de colonisation britannique sur les dirigeants postindépendance, la création et le but de l’Alliance, le rôle du MCA (Association sino-malaisienne), les partis d’opposition chinois et l’intégration économique des Sino-malais permettent de comprendre comment les structures politiques pluralistes malaises ont permis l’intégration de la diaspora chinoise en Malaisie de 1948 à 1969. 

La Malaisie a été colonisée par les Britanniques. Le pays a été influencé par cette colonisation en matière d’intégration multiraciale. En fait, les colonisateurs étaient conscients de l’importance de la présence des multiples ethnies dans le pays. Les Britanniques ont implanté le modèle de colonisation indirecte (Strauch 1981 ; Seah 2000). Frederick Lugard, l’inventeur de ce modèle, explique pour l’Afrique, mais l’idéologie est la même pour la Malaisie, que « chaque sultan et chaque émir régnera sur son peuple comme autrefois, mais il obéira aux lois du gouverneur et agira conformément aux conseils du résident » 2. Les Sultans malais de différentes ethnies ont continué à diriger, mais en rendant des comptes aux Britanniques (Seah 2000). Comme l’explique Mélanie Boudreault dans son blogue La Malaysia : la stabilité d’un État multiethnique, les Britanniques voulaient conserver le contrôle sur les différentes ethnies à l’intérieur de la Malaisie. Ils ont réussi par l’entremise de la colonisation indirecte. Durant l’indépendance et jusqu’à 1969, cette politique coloniale a permis une intégration plus facile pour la diaspora chinoise.

En 1948, la Fédération malaise fut créée, selon les désirs de l’UMNO (Organisation nationale des Malais unis) et ceux des Britanniques. Par la suite, des revendications pour l’indépendance commencèrent. Les colonisateurs étaient prêts à céder le pouvoir, mais il « ne serait remis qu’à un groupe multiracial de personnalités autochtones aux opinions conservatrices » 3. L’Association sino-malaisienne avait le rôle important de s’assurer que les intérêts chinois soient représentés dans les discussions. En 1952, l’UMNO, le MCA et MCI (Congrès indien de Malaisie) formèrent une Alliance (Pan 2000; Seah 2000). Elle permettait « à la fois la coopération au sein des élites et la mobilisation politique des divers groupes ethniques » 4. L’Alliance est un bon exemple de structure pluraliste. Elle permet aussi l’intégration de la diaspora chinoise au sein des structures politiques.

L’Alliance souhaitait une indépendance très rapide. Ils créèrent un gouvernement pour l’indépendance de la Malaisie. En 1955, ils remportèrent ensemble les premières élections et établirent les conditions pour l’indépendance. Après la Deuxième Guerre mondiale, l’immigration chinoise a augmenté en flèche. Les nombreux immigrants chinois devaient être protégés et défendus. Le MCA joua ce rôle. Lors de la décision des conditions pour l’indépendance, le MCA fit des concessions. Dans la Constitution, la langue nationale et unique est le malais, l’islam est la religion de l’État et des droits spéciaux sont donnés aux Malais. Les Chinois ne retiraient rien de particulier dans la Constitution, mais n’étaient pas exclus des décisions politiques (Pan 2000). La diaspora chinoise était représentée politiquement pour le respect de ses droits et était ainsi intégrée à la société malaise puisqu’elle avait son droit de parole en politique.

Par contre, le MCA n’était pas représentatif de la population chinoise en Malaisie, il n’avait pas « de racines dans les villages et dans les petites villes » 5. Cependant, des partis d’opposition siégeaient au gouvernement avec le MCA et ils défendaient le reste de la population sino-malaise. Ces structures politiques avaient pour but principal de défendre les intérêts fondamentaux des Chinois. En fait, les terrains de batailles du MCA et des partis d’opposition chinois étaient le droit à la citoyenneté, des portes ouvertes pour les débouchés économiques, l’utilisation de leur langue, l’éducation chinoise et la possibilité de démontrer la culture chinoise en public. (Pan 2000). Ces batailles ont démontré « le désir des Chinois de participer pleinement à la vie de la société malaisienne et leur besoin de préserver l’autonomie culturelle dont ils avaient joui jusqu’à alors » 6. Les terrains de bataille des sino-malais démontrent leur intégration par le pouvoir de se battre politiquement pour être acceptés et respectés au sein de la société malaise.

Les Chinois s’étaient intégrés en Malaisie sans trop de souci. Par exemple, l’ouverture de postes politiques à des membres de la communauté non-malaise démontre l’existence de structures politiques pluralistes. Les partis politiques ont permis à la diaspora chinoise de s’intégrer dans le pays. Par ailleurs, les Chinois ne se sont pas uniquement intégrés dans la population malaise, mais aussi dans son économie. De plus, les Chinois étaient présents dans toute la sphère du business malaisien. (Terence Gomez 1999). Dans ces années, la Malaisie comprenait Singapour jusqu’à son indépendance en 1965. En fait, les Sino-malais étaient numériquement supérieurs dans cette ville. Ils étaient attirés dans cette ville par la facilité de commerce et de création d’entreprise. À la suite de l’indépendance en Malaisie, les revenus des Chinois étaient supérieurs à ceux des Malais et ils ont augmenté considérablement entre 1957 et 1970. Le revenu moyen « passa de [108,08 $] américains par foyer pour les [Chinois] et [57,60 $ pour les [Malais] en 1957 à respectivement [157,06 $] et [68,08 $] en 1970 » 7.

Les structures politiques pluralistes mises en place en Malaisie ont été favorables  l’intégration de la diaspora chinoise. La colonisation britannique a permis la création de ces structures. La création de l’Alliance, le MCA et les partis d’opposition démontre l’impact de la colonisation britannique sur l’intégration des Sino-malais. Ces structures politiques pluralistes ont permis à la diaspora chinoise de se faire une place politiquement et économiquement en Malaisie.

Références

1 David Seah, «Malaysia: Dilemmas of integration», (2000) Parliamentary Affairs 53 (January), 189-197.

Traduction libre de « The constitution, however, interprets the term ‘Malay’ in an ethnic sense, implying the possibility of creating a relatively homogenous community of language, religion and culture through a strategy of integration».

2Mamoudou Gazibo,  Introduction à la politique africaine (Canada : Les Presses de l’Université de Montréal, 2006).

3 Lynn Pan, dir.,   Encyclopédie de la diaspora chinoise (Paris : Les Éditions du Pacifique, 2000).

4 Ibid.

5 Judith Strauch, Chinese village politics in the Malaysian state (États-Unis: Harvard University Press, 1981). Traduction libre de « Neither of them [MCA and MIC] has roots in the villages and small towns». 

6 Lynn Pan, dir., Encyclopédie de la diaspora chinoise (Paris : Les Éditions du Pacifique, 2000).

7 Ibid.

8Kua Kia Sung, «Racial conflict in Malaysia: against the official history», (2007) Race and class. 49 (3): 33-53. Traduction libre de « was the worst racial riot in the history of Malaysia».

 

Bibliographie

Gazibo, Mamoudou. 2006. Introduction à la politique africaine. Canada : Les Presses de l’Université de Montréal.

Pan, Lynn, dir.  2000. Encyclopédie de la diaspora chinoise. Paris : Les Éditions du Pacifique.

Seah, David. 2000. «Malaysia : dilemmas of integration». Parliamentary Affairs 53 (January): 189-197.

Strauch, Judith. 1981. Chinese village politics in the Malaysian state. États-Unis: Harvard University Press.

Sung, Kua Kia. 2007. « Racial conflict in Malaysia: against the official history». Race and class. 49 (3): 33-53.

Terence Gomez, Edmund. 1999. Chinese business in Malaysia: accumulation, accommodation and ascendance. Richmond : Curzon.

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