L’émergence du nationalisme au Laos

Par Charles-Antoine Michel             

Lorsqu’on entreprend l’étude du nationalisme en Asie du Sud-Est, on pense avant tout à la manifestation de la conscience nationale. Il est important de différencier nationalisme et patriotisme, davantage synonyme de chauvinisme. Dans le cas du Laos, on parlera de nationalisme revendicatif, désignant les revendications d’un peuple assujetti à l’indépendance.

Contrairement aux Philippines où les idées nationalistes furent propagées par l’intelligentsia, l’éveil du nationalisme au Laos se fait plus tardivement d’une part et d’autre part, il est le fruit des revendications populaires, qui seront par la suite soutenues par le Lao Issara puis le Pathet Lao, deux mouvements indépendantistes et anti-coloniaux.

Ce n’est qu’à la fin du XIXième siècle qu’a lieu la colonisation au Laos. En effet, après les interventions françaises au Vietnam en 1859 et au Cambodge en 1863 où un protectorat est signé à cette même date afin de protéger le pays des invasions Siam (actuelle Thaïlande), les Français débarquent au Laos en 1866. L’établissement du pouvoir colonial se fait sans trop de heurts, eut égard au fait qu’un traité assurant le protectorat du pays est mis en place en 1893. Ainsi, en échange de la collaboration du Royaume Lao, la France s’engage à protéger le Laos de l’expansion du Siam. Mais, comme le souligne Paul Levy dans son livre Histoire du Laos, quelques révoltes ont eu lieu car certaines minorités « ne jouissaient pas des rares effets bénéfiques de notre protectorat » et donc « ne voyaient pas l’intérêt qu’elles avaient à faire des corvées, à lui payer des impôts et autres taxes » (Levy 1974, 83) [1].

Jusqu’en 1940, l’aristocratie lao accepte la présence Française sur son territoire. Or, la Seconde Guerre Mondiale affecte durement la France qui devient rapidement occupée. En Asie du Sud- Est, le Japon triomphe en envahissant l’Indochine et « pousse les Siamois à réveiller de leur torpeur les Français et les Laotiens » (Sissouk Na Champassak 1961, 9) [2]. L’armée japonaise impose donc sa domination et oblige le gouvernement de Vichy à quitter la région. La puissance coloniale est ébranlée et se voit contrainte de céder certaines provinces au Siam, allié nippon.

Le colon n’est pas invincible et à la vue de sa fébrilité, les premiers mouvements anti-coloniaux émergent. Une propagande frénétique est mise en place par les Siamois qui invitent les Laotiens « à envoyer au diable les Français » (Sissouk Na Champassak 1961, 9). C’est ainsi que germe l’idée « issara », c’est-à-dire d’indépendance. Ainsi, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale est créé le mouvement Lao Issara (« Laos Libre »). Il va tout d’abord s’opposer au retour de la France qui reprend possession du Laos en 1946 [3]. Mais, impuissant, le mouvement anti-colonial ne peut faire face aux troupes françaises et se voit contraint de prendre le maquis.

La résistance va donc s’organiser de l’extérieur. Ainsi, les actions de guérillas du Lao Issara vont se développer à partir de deux bases distinctes. La première est située en Thaïlande, tandis que la seconde, soutenue par le Viêt-Minh dirige ses opérations à partir du Vietnam. Cette première phase du développement du nationalisme prend fin en 1949, lors de la dissolution du mouvement Lao Issara, après que la France ait octroyé l’indépendance au Royaume du Laos dans le cadre de l’Union Française [4]. L’Empire colonial français est devenu l’Union Française en 1946 et les colonies des départements et territoires d’outre-mer. L’autonomie du Laos reste donc très limitée puisque le pays est malgré tout considéré comme faisant partie du territoire français. Mais en 1950 fut fondé un nouveau mouvement indépendantiste, et cette foi-ci procommuniste, le Pathet Lao. Dès sa création, ce mouvement emmené par le Prince Souphanouvong (photo 1), rejoint le Viêt-Minh dans sa résistance contre l’occupation française dans la région. De plus, la proclamation de l’indépendance du Vietnam le 2 septembre 1945 conditionne celle du Laos. Ainsi, le pays considérant que la Révolution est unique pour l’ensemble de l’Indochine vient en aide à la résistance Lao. Petit à petit, « dans l’armée révolutionnaire que le Pathet Lao forge et qu’il nomme Armée de Libération Populaire Lao, le cadre qui reste avant tout politique, passe de l’autodéfense de village à la guérilla, de cette guérilla à l’armée régulière » ( Deuve 1984, 34) [5]. En d’autres termes, on assiste à la mise en place d’une résistance minutieusement organisée. Des bases naissent un peu partout sur le territoire Lao. Elles comprennent plusieurs villages ordonnés, c’est-à-dire composés d’une administration Pathet Lao, d’une milice d’auto-défence, de centres de fabrication d’armes, d’écoles ou encore d’un dispensaire. Ces bases sont rarement découvertes, et lorsqu’elles le sont, d’autres se reconstruisent plus loin. Nouhak, un des ministre de Souphanouvong citait le proverbe suivant pour décrire cette situation: « L’herbe est foulée par le pied qui passe, puis elle se redresse ». Ainsi, le Pathet Lao, après avoir prit le contrôle du nord du pays, délivre peu à peu les campagnes du sud, si bien qu’en 1953, le Laos proclame enfin son indépendance.

Ainsi, l’éveil du nationalisme au Laos eut lieu à la fin de la seconde guerre mondiale, suite à la sévère défaite française. Mais plus précisément, se sont les mouvements anti-coloniaux émergeants de ce nouveau sentiment national qui permirent la mise en place d’une très forte résistance menant à l’accession de l’indépendance.

 

Bibliographie

[1]: Lévy, Paul. 1974. Histoire du Laos. Paris: Presses Universitaires de France.

[2]: Na Champassak, Sisouk. 1961. Tempête sur le Laos. Paris: La Table Ronde.

[3]: Laos. En ligne. http://www.memo.fr/dossier.asp?ID=150 (page consultée le 1er novembre 2009).

[4]: Rapin, Ami-Jacques. 1998. Guérillas, guerres secrètes et « covert operations » au Laos. Essai Historiographique. Les Cahiers du CERIA, série rouge, no 10.

[5]: Deuve, Jean. 1984. Le Royaume du Laos: 1949-1965. Paris: L’Harmattan.

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