Le Vietnam face à l’ASEAN : l’Âge d’or des accords bilatéraux

Par Vo Viet-Anh

L’Association of Southeast Asian Nations a été créée en 1967 en plein milieu de la Guerre froide comme rempart à l’expansion du communisme dans le monde. Depuis la chute de l’Union Soviétique, l’ASEAN reprend pleinement son vrai rôle de moteur pour l’intégration économique dans la région. Pourtant, cette tentative de multilatéralisme reste largement infructueuse. Les pays membres, incluant le Vietnam depuis 1995, ont depuis le début des années 2000, signés plus d’accords commerciaux bilatéraux que jamais auparavant tout en laissant les négociations multilatérales au point mort.

De manière générale, les accords multilatéraux prennent beaucoup de temps à négocier parce qu’il faut qu’une multitude de partenaires avec des principes et des intérêts différents acceptent de faire des compromis pour atteindre un objectif similaire. La situation est encore plus difficile dans la région géographique inventée du Sud-est asiatique où chaque pays ne cherche qu’à maximiser ses intérêts nationaux et où il n’y a pratiquement pas de sentiment d’appartenance régionale comme dans l’Union européenne. Les économies régionales ne sont pas non plus complémentaires, mais compétitives entre elles ce qui rend les négociations encore plus complexes. Jusqu’à aujourd’hui, seulement la Corée du Sud a réussi à obtenir un accord multilatéral avec l’ASEAN.

Selon l’ambassadeur de l’UE, Dorian Prince, l’une des raisons de ce succès est le manque d’insistance de la Corée du Sud sur les questions de droits de l’Homme . Comme les régimes politiques de la région sont si différents et que l’Union européenne se fait un devoir de mentionner les droits humains dans ses traités, ces problèmes sont certains de surgir au cours des négociations.

De façon générale, depuis la crise économique de 1997, les pays de l’Asie du Sud-est ont très peu confiance en l’ASEAN à cause de son incapacité à résoudre les problèmes engendrés par le crash économique. La libéralisation économique menée par cette organisation est considérée comme un échec [1].

L’économie doit quand même continuer de rouler pendant que les négociations stagnent. Les pays de l’ASEAN ont alors recourt aux vieilles méthodes de négociations bilatérales, ce qui veut dire des accords entre deux pays seulement. Le Vietnam suit cette tendance comme tous les autres. Le pays ne va passer par l’ASEAN pour signer des accords bilatéraux avec des pays comme l’Australie, le Japon et les États-Unis.

Christopher Dent, expert de l’économie de l’Asie de l’Est à l’Université de Dent, relativise l’impact des négociations bilatérales. En effet, les accords bilatéraux peuvent être soit convergents ou divergents. La forme convergente laisse de la place à d’autres acteurs pour qu’ils se joignent à l’accord dans le futur. Elle permet au moins la possibilité d’ouverture et d’intégration régionale, donc de multilatéralisme. La forme divergente implique l’existence de conflits dans les négociations et la protection des intérêts nationaux. Les accords sont donc fermés. Il est malheureux, de constater que le Vietnam s’est mis sur la route de la divergence comme les autres pays d’ailleurs, ce qui mine tous les efforts de l’ASEAN de créer un régionalisme solide [2].

Pourtant, le Vietnam a grand intérêt à contribuer au développement d’un régionalisme solide pour faire contrepoids à l’un des futurs poids lourds économiques du monde, la Chine. La crise de 1997 a montré la dépendance certaine des pays de l’ASEAN sur les capitaux étrangers et l’entrée des Chinois dans l’OMC a créé une grande frousse dans le Sud-est par la peur de voir les investissements partir pour aller plus au Nord chez leur grand voisin.

Jose Tongzon de l’Université de Singapour est parmi ceux qui sonnent l’alarme et propose que le Sud-est asiatique s’intègre plus rapidement pour faire face au géant. Il n’est pas irréaliste et se rend compte que la Chine est là pour rester, mais il faut, selon lui, continuer de faire le mieux possible pour offrir un front de négociation qui aura plus d’impact contre les Chinois [3].

Références

[1] Dent, Christopher M. 2006. « The New Economic Bilateralism in Southeast Asia : Region- Convergent or Region-Divergent? » International Relations of the Asia-Pacific 6 (no1) : 81-111.

[2] Dent, Christopher M. 2003. « Networking the Region? The Emergence and Impact of Asia- Pacific Bilateral Free Trade Agreement Projects ». The Pacific Review 16 (mars) : 1-28.

[3] Tongzon, Jose L. 2005. « ASEAN-China Free Trade Area: A Bane or Boon for ASEAN Countries? ». The World Economy 28 (février) : 191-210.

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